« NOS ARGUMENTS COMMENCENT A ETRE ENTENDUS » (JEAN-CHRISTOPHE BOURGEOIS, SONY/ATV MUSIC PUBLISHING FRANCE)
« Les éditeurs jouent un rôle majeur dans la chaîne de valeur de la musique et sont pourtant les seuls à ne pas être soutenus. (…) Nous réalisons tout un travail d’accompagnement en amont que nous ne faisions pas il y a 10 ans, qui répond aux nouveaux besoins créés par un certain désengagement des maisons de disques dans l’amorçage de carrière, advenu ces dernières années alors qu’elles connaissaient une crise majeure de leur modèle. Ce n’est pas leur faire injure que de le dire », déclare Jean-Christophe Bourgeois, « general manager » de Sony/ATV Music Publishing France.
« Tout cet investissement est nouveau, et il est très vertueux : il intervient très en amont et il est démultiplicateur, car plus on a investi et créé une histoire autour d’un artiste-interprète, plus les producteurs de spectacles et phonographiques vont investir à leur tour. Ils auront de la visibilité, un début de succès, etc. », poursuit-il.
Quelle est la revendication exacte des éditeurs de musique en matière d’incitation fiscale et de crédit d’impôt ?
Les éditeurs jouent un rôle majeur dans la chaîne de valeur de la musique et sont pourtant les seuls à ne pas être soutenus. Le phonogramme et le spectacle vivant ont un crédit d’impôt. Les éditeurs devraient également pouvoir bénéficier d’un soutien. Leurs investissements interviennent très en amont du développement, quand les artistes n’ont souvent ni producteur de phonogramme, ni même producteur de spectacles. Ils sont plus risqués.
Nous réalisons tout un travail d’accompagnement en amont que nous ne faisions pas il y a 10 ans, qui répond aux nouveaux besoins créés par un certain désengagement des maisons de disques dans l’amorçage de carrière, advenu ces dernières années alors qu’elles connaissaient une crise majeure de leur modèle. Ce n’est pas leur faire injure que de le dire. Elles cherchent à signer des artistes qui ont déjà créé un petit écosystème autour d’eux, une sorte de proof-of-concept, en termes de nombre d’entrées dans les salles, de streams, de « likes » sur Facebook, etc. Tout ce travail de développement en amont, délaissé par les maisons de disques, a été récupéré par les éditeurs, non pas par choix mais par nécessité, et par quelques producteurs indépendants.
Quels sont les arguments en faveur de cette disposition ?
Il y a 20 ans, un éditeur aurait réalisé des démos, travaillé le répertoire avec un artiste-interprète, et serait allé voir tout de suite des producteurs phonographiques pour signer. Aujourd’hui, il va aussi développer l’image et le profil en ligne, faire des vidéos, accompagner la plupart du temps la sortie d’un premier EP, commencer à faire des concerts, faire grossir un peu l’histoire avant d’aller chercher d’autres partenaires, et essayer de fédérer un producteur de spectacles et un producteur phonographique autour du projet.
Tout cet investissement est nouveau, il est important pour l’économie de l’édition, et il n’est pas soutenu par les pouvoirs publics. Notre investissement est très vertueux : il intervient très en amont et il est démultiplicateur, car plus on a investi et créé une histoire autour d’un artiste-interprète, plus les producteurs de spectacles et phonographiques vont investir à leur tour. Ils auront de la visibilité, un début de succès, etc. Nous accompagnons l’artiste au moins jusqu’à la sortie d’un premier EP : on investit dans le mastering des enregistrements définitifs, on ne se contente pas du stade de la démo ; on engage des attachés de presse ; et puis on investit également pour faire monter l’artiste sur scène, dans du coaching, dans son univers visuel… Cela finit par représenter des sommes importantes, avec 100 % de risque, car il n’y a aucune ligne de revenus en face.
Faut-il créer un mécanisme spécifique aux éditeurs, une simple extension du CIPP, ou les deux ?
Une simple extension du CIPP aux éditeurs n’apporterait aucun soutien à l’investissement dans le développement des auteurs-compositeurs « pure-players », qui ne sont pas interprètes. Nous commençons à avoir beaucoup d’artistes interprètes qui s’exportent, ce qui est un vrai facteur de croissance pour le pays, mais dans le domaine des auteurs-compositeurs qui ne sont pas interprètes, nous sommes très peu présents.
On ne voit pas ou peu de compositeurs français crédités sur les tubes de grandes stars internationales comme Rihanna ou Adele. C’est pourtant quelque chose qu’il faut développer le plus possible, d’autant plus que se dessine une nouvelle génération de compositeurs-producteurs qui ont le talent pour rivaliser à l’international, ont assimilé les codes d’une culture plus globalisée et parlent mieux anglais que leurs aînés. Certains compositeurs-producteurs peuvent avoir un réel potentiel à l’international. Il faut les envoyer faire des sessions d’écriture à Los Angeles, à Stockholm, à Londres, d’abord avec des compositeurs peu connus, puis de plus en plus connus. Il faut donc les accompagner dans leur développement.
Il faut qu’ils puissent voyager, passer du temps à l’étranger, etc., et ce sont des investissements qui sont très peu aidés. C’est pourquoi nous sommes légitimes à demander la création d’un crédit d’impôt spécifique, comme nos partenaires producteurs phonographiques et producteurs de spectacles, qui sont d’ailleurs bienveillants à l’égard de cette revendication. Pour que nous puissions aller voir des partenaires, il faut que nous ayons une histoire à raconter, et cette histoire coûte cher à construire. Ce ne sont pas des sommes spectaculaires, par rapport à celles qu’engagent les producteurs phonographiques, mais elles ont l’avantage d’être investies très tôt, et d’avoir un effet multiplicateur qui va générer d’autres investissements, et de la croissance derrière.
Dans le cas du CIPP, il s’agit de soutenir des TPE et PME particulièrement fragilisées par une profonde crise du disque. On pourrait vous retourner que l’édition en a moins souffert…
En tant qu’éditeurs, nous avons un rapport au temps qui n’est pas du tout le même. Entre le moment où nous commençons à développer un artiste et celui où on parvient à mobiliser des partenaires, il va s’écouler un ou deux ans. Et un à deux ans de plus avant que le projet n’aboutisse et ne commence à générer des revenus. Cela pause beaucoup de problèmes de trésorerie pour les jeunes éditeurs, qui ne percevront des revenus qu’au bout de deux ans d’exploitation. Si vous signez un artiste, vous devez amorcer son développement, trouver les partenaires qui vont sortir l’album et le mettre sur scène. Si vous réussissez à faire tout cela en 24 mois, c’est que tout s’est très bien passé, et il n’y a encore aucun euro de revenus en face. Si ça marche tout de suite, vous avez encore besoin de 6 à 12 mois avant de recevoir des droits de la Sacem. C’est très difficile pour les petites structures.
L’édition a résisté à la crise parce que les éditeurs ont eu très tôt des sources de revenus plus diversifiées. Les droits mécaniques payés par la Sacem ont fondu de plus de 50 % en quelques années, mais les droits d’exécution publique et la synchro ont compensé. La période n’en a pas moins été très tendue pour l’édition.
Quel est votre calendrier ?
À l’origine, notre revendication a été accueillie fraîchement. Le métier de l’édition est plus méconnu que les autres et plus compliqué à expliquer. Le soutien de notre démarche par nos camarades producteurs phonographiques et de spectacles montre néanmoins que l’enjeu dépasse notre profession et concerne l’ensemble de la filière.
Tel est également le sens de l’appui de TPLM. Actuellement, nous sommes encore dans la phase de construction du dossier ; ces travaux doivent nous permettent de fournir une étude d’impact la plus chiffrée possible. C’est un processus qui peut durer plusieurs mois. Les arguments commencent à être entendus. À nous de construire un dossier solide. Dès que nous aurons les résultats du prochain baromètre de l’édition musicale, nous pourrons nous mettre sérieusement au travail.