NEWS DE L’EDITION – JUIN 2021

« NOUS NE PRÉVOYONS PAS DE RETOUR À LA NORMALE AVANT 2022, AU MIEUX » (JEAN-NOËL TRONC, SACEM)

Paris – Entretien n°221353 – Publié le 24/06/2021

« La perte de collectes [de la Sacem] a été de 131 M€ en 2020 et va être encore très forte en 2021, ce qui va se traduire par une perte d’exploitation cumulée estimée à -20 %. Or, nos statuts nous interdisent de faire des profits, nous n’avons donc pas de réserves, de même que nous ne recevons aucune subvention et n’avons pas d’actionnaire pour nous renflouer. Nous avons donc fait longuement le point durant l’assemblée générale [du 15/06/2021] sur la manière dont nous avons agi depuis 15 mois », déclare Jean-Noël Tronc, directeur général de la Sacem, à News Tank le 24/06/2021.

Jean-Noël Tronc revient sur le plan de départ volontaire « de plus de 145 personnes », qui a été finalisé en 2021, et sur le « plan de transformation » de la Sacem, qui a pour « ambition d’accélérer [son] développement ». Il évoque aussi les « mesures fortes » destinées à « accompagner les nouvelles générations et les encourager à rejoindre la gestion collective », telles que la réduction du montant d’adhésion à la Sacem, l’adhésion en ligne « ultra-simplifiée » et l’accélération du versement des droits « en particulier pour le online ». Jean-Noël Tronc aborde également le lancement d’une opération de soutien aux cafés, bars et discothèques, qui doit inciter à l’organisation de concerts ou de DJ sets. « Ce nouveau dispositif de soutien mobilise une enveloppe de 700 000 €, notre objectif étant de contribuer à l’organisation de 2 000 concerts », indique-t-il.

Jean-Noël Tronc répond aux questions de News Tank.


L’AG de la Sacem s’est tenue le 15/06/2021. Quel était l’état d’esprit, après une année 2020 marquée par la pandémie et l’arrêt de nombreuses activités culturelles qui ont impacté les collectes de la Sacem ?

L’état d’esprit était évidemment grave, puisque les auteurs, compositeurs et éditeurs de musique ont été violemment touchés depuis le début de la crise au niveau de leurs revenus directs, et vont l’être dans le temps avec l’effet de chute de leurs droits d’auteurs. Pour leur maison commune qu’est la Sacem, la crise que nous traversons est la pire de notre histoire. La perte de collectes a été de 131 M€ en 2020 et va être encore très forte en 2021, ce qui va se traduire par une perte d’exploitation cumulée estimée à -20 %. Or, nos statuts nous interdisent de faire des profits, nous n’avons donc pas de réserves, de même que nous ne recevons aucune subvention et n’avons pas d’actionnaire pour nous renflouer. Nous avons donc fait longuement le point durant l’assemblée générale sur la manière dont nous avons agi depuis 15 mois.

« Le fonds de secours Sacem a été réabondé à hauteur de 3,5 M€ »

En tant que gérant, j’ai voulu souligner les quatre défis que nous avons relevés. D’abord, maintenir la société opérationnelle, ce qui n’avait rien d’évident étant donné la complexité logistique de mettre tout le monde en télétravail. Nos homologues américains de l’Ascap avaient ainsi du décaler de plusieurs semaines certaines de leurs répartitions à leurs membres au début de la crise Covid. Grâce à la mobilisation de toutes nos équipes, chaque répartition trimestrielle a pu avoir lieu comme prévu, tous les services sont restés opérationnels, qu’il s’agisse des relations avec les sociétaires, qui n’ont jamais été interrompues, ou avec nos clients.

Le deuxième défi a été de mobiliser un vaste plan de secours pour nos membres, notamment en débloquant des avances et des aides exceptionnelles, aides que nous venons d’ailleurs de prolonger : le fonds de secours Sacem, en lien avec notre Comité du cœur des sociétaires, a été réabondé à hauteur de 3,5 M€. Il a permis de verser plus de 11 000 aides à des membres de la Sacem dans des situations de grande détresse matérielle. Nous avons aussi prolongé la rémunération exceptionnelle des livestreams gratuits jusqu’en septembre.

Troisième défi : nous avons conduit un plan d’économie massif dans tous les domaines, qui s’est traduit notamment par un plan de départ volontaire de plus de 145 personnes, soit environ 11 % des effectifs. Quatrième défi, et c’était sans doute le moins évident, nous avons choisi, avec le conseil d’administration, de réagir à cette crise sans précédent par un vaste plan de transformation avec l’ambition d’accélérer le développement de la Sacem.

Où en est ce plan de transformation et par quoi va-t-il se traduire concrètement ?

Nous avons remis à plat tous nos processus, notre organisation, mais aussi et surtout nos règles, pour viser la simplification partout où c’est possible, sans remettre en cause bien sûr les principes fondateurs de la Sacem, société d’auteurs ouverte à tous, où tous les sociétaires bénéficient d’une égalité de traitement, et qui privilégie la plus grande précision possible dans ses modes de répartition. Nous avons réussi à accélérer depuis un an nos développements informatiques, comme en témoigne le lancement simultané d’une plateforme relationnelle pour tous nos sociétaires et d’une adhésion en ligne ultra-simplifiée, en français et en anglais, ce mois de juin. Nous renforçons nos équipes pour les services aux sociétaires, pour le online et pour l’international. Nous accélérons l’internalisation de nos équipes informatiques, pour mieux maîtriser nos développements. Notre plateforme URights, qui traitait déjà toutes nos données de streaming musical, traite également nos données SVOD à partir de notre répartition de juillet 2021. De nouvelles simplifications ont été votées à l’AG, qui vont faciliter le dépôt en ligne des œuvres et accélérer le versement des droits en particulier pour le online.

« Nous avons remis à plat tous nos processus, notre organisation, mais aussi et surtout nos règles, pour viser la simplification partout où c’est possible »

Avec le conseil d’administration, nous avons aussi voulu prendre des mesures fortes pour accompagner les nouvelles générations et les encourager à rejoindre la gestion collective. Par exemple, nous avons divisé d’un tiers les frais d’adhésion à la Sacem pour les jeunes auteurs et compositeurs, frais qui passent de 154 à 100 €. Pour les nouveaux éditeurs, l’adhésion passe de 500 à 300 €. Ces décisions partent d’un double constat. D’une part, nous assistons à un rajeunissement de nos membres. En 2014, les moins de 25 ans représentaient 9 % des nouveaux adhérents de la Sacem. En 2020, ce volume est passé à 20 %. Ce rajeunissement est tout à fait encourageant mais il faut que les nouvelles générations de créateurs aient envie d’adhérer à la gestion collective comme modèle de référence. Notre objectif est donc de la rendre plus attractive. Autre constat : le nombre d’adhésions annuelles augmente. Nous étions à 5 000 nouvelles adhésions en 2015, et à 7 000 en 2019, avec des adhésions dans le monde entier, d’où l’importance de l’adhésion en ligne.

Enfin, nous avons mis en place récemment, en partenariat avec Audiens, une mutuelle qui s’adresse à tous nos adhérents. Jusque-là, la mutuelle que nous proposions n’était accessible qu’à nos membres professionnels et définitifs, soit environ 7 000 sociétaires. Le but est d’aider tous nos membres à faire face à la crise, et à une situation de précarité forte : beaucoup d’auteurs et de compositeurs n’ont pas accès à l’intermittence et à la protection sociale qu’elle offre.

La Sacem va par ailleurs soutenir ses clients du secteur des cafés, bars, restaurants et discothèques, en mettant en place une initiative visant à favoriser le live dans ces établissements. Qu’en est-il concrètement ?

L’idée de cette opération appelée « Tous en Live » part d’un constat simple : une grande partie des tournées en France est repoussée à 2022. Or, les cafés et restaurants, au nombre de 150 000 en France, sont de vrais diffuseurs de musique. Et sur les 34 000 cafés, on estime environ à un tiers ceux qui organisent des concerts, lesquels peuvent être utiles dans cette période qui reste difficile. Avec les syndicats professionnels du secteur, nous avons donc mis en place une mesure qui permet à un café de bénéficier d’une aide de 250 € par concert, dans la limite de trois concerts. Pour les discothèques, le dispositif est différent. Il s’agit d’une aide de 2 000 € ou de 5 000 €, qui permet d’aider ces établissements pour 5 ou 10 séances de DJ sets, les clubs et les discothèques étant parmi les secteurs les plus dévastés par la crise.

« Un tiers des 34 000 cafés en France organisent des concerts »

Pour bénéficier de cette aide, les établissements concernés n’auront qu’à s’adresser directement à leur délégation Sacem en région. Ce nouveau dispositif de soutien mobilise une enveloppe de 700 000 €, notre objectif étant de contribuer à l’organisation de 2 000 concerts.

Comment appréhendez-vous la reprise progressive des activités culturelles, et le dernier pallier du déconfinement à venir le 30/06/2021 ?

Il y a une bonne et une mauvaise nouvelle. La bonne nouvelle c’est que la stratégie de déconfinement est maintenant complète, et donne l’espoir d’un retour à la normale à partir de cet été. La mauvaise, c’est que 2021 sera une deuxième année blanche pour la plupart des grandes tournées et aussi des grands festivals. Car les mesures qui ont été prises ne permettent de ne faire revenir qu’une partie du public. Voilà pourquoi il est important que l’État ne relâche pas sa politique de soutien en direction des secteurs culturels, parce que la casse économique va être très importante. Les aides directes aux auteurs, inscrites dans le budget 2021 du CNM, sont vitales et leur mise en œuvre est une urgence. De même, j’espère vraiment que le crédit d’impôt aux éditeurs finira par aboutir, après un premier échec malgré un fort soutien au Parlement en 2020. Il est parfaitement anormal que la plus ancienne des familles d’entrepreneurs de la musique soit la dernière à ne pas être éligible à un tel dispositif fiscal. D’autant que ces entreprises assurent de plus en plus la prise de risque initiale sur les projets artistiques, et qu’il s’agit en très grande majorité de TPE.

« Important que l’État ne relâche pas sa politique de soutien en direction des secteurs culturels »

Quelles sont vos prévisions pour la Sacem en 2021, avec la reprise des activités culturelles et la réouverture de l’ensemble des lieux diffusant de la musique ?

Nous ne prévoyons pas de retour à la normale avant 2022, au mieux. Les droits généraux ont subi une perte considérable en 2020 mais la première partie de l’année 2021 a été toute aussi désastreuse : la plupart des commerces et salles de spectacles ont été fermés sur cette période. La perte en droit d’auteurs est donc anticipable et sera considérable. Et puis nos droits viennent aussi de l’étranger, et là aussi l’impact de la crise sanitaire va être très fort dans la plupart des pays du monde. Cela va se traduire inévitablement par des baisses, qui s’échelonneront jusqu’en 2022.

Notre accord de collecte pour le compte de la SPRE renouvelé pour six ans »

Cela rend d’autant plus importante notre stratégie de transformation, qu’il s’agisse du développement de services à nos membres ou du développement de nos activités, comme nos mandats par exemple. À ce titre, nous avons renouvelé pour six ans, avec effet rétroactif au 01/01/2021, notre accord de collecte pour le compte de la SPRE. Et puis, hors musique, nous avons récemment été approchés par plusieurs syndicats d’éditeurs de presse pour mettre en place un OGC pour le nouveau droit voisin, droit né avec la directive « droit d’auteur » et la transposition en France de cette mesure, dans une loi de juin 2019. Nous sommes très fiers de nous associer à cette initiative, qui consacre la pertinence du modèle de la gestion collective dans le monde du online.

Comment intervenez-vous sur ce nouvel OGC ? Comme simple prestataire ? Comme partenaire dans sa construction et dans la négociation avec les plateformes ?

La Sacem va avoir deux rôles. Un rôle d’expertise pour les syndicats qui se joignent à cette initiative, pour les assister dans la création concrète de l’outil de gestion collective. Et puis un rôle de soutien en matière de négociation avec les plateformes. Mais ce sont bien évidemment les éditeurs de presse, et eux seuls, qui choisiront leurs règles de répartition des revenus qui proviendront de ce droit voisin.

Cela s’ajoute aux mandats de gestion pour le online que nous ont déjà confiés d’autres clients dans la musique, tels qu’UMPIImpel, Wixen Publishing, la Socan ou encore la Komca. Cette activité de partenaire pour d’autres, en plus des services à nos membres, fait partie de notre modèle ; développer cette activité de mandat permet évidemment de renforcer le pouvoir de négociation de la Sacem lorsqu’elle discute avec les grandes plateformes. Et puis en mutualisant les coûts liés au développement informatique, qui sont indispensables et très lourds dans la gestion du online, les mandats permettent de financer une partie des coûts de gestion de la Sacem autrement que par des prélèvements sur droits.