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« Autant le projet de directive sur la réforme du droit d’auteur, publié par la Commission (le 14/09/2016, NDLR), a été plutôt une bonne surprise, autant les premières discussions au Parlement Européen sont inquiétantes. Sans vouloir entrer dans des considérations juridiques trop techniques, le projet de rapport de Mme Comodini Cacchia (députée européenne maltaise, NDLR) revient sur le critère déterminant permettant d’engager la responsabilité des plateformes, à savoir le rôle actif qu’elles jouent dans l’exploitation de biens culturels. En choisissant de ne plus définir ce qui constitue le rôle actif joué par les plateformes, Mme Comodini vide en réalité de toute leur substance les obligations mises à la charge des plateformes par la Commission. Le risque est que ces plateformes puissent continuer à échapper à leur responsabilité en se réfugiant derrière les dispositions de la directive commerce électronique de 2000, pourtant désormais complètement dépassée », écrit Jean-Noël Tronc, directeur général de la Sacem, dans un article publié sur son site le 16/05/2017.« La question est d’autant plus cruciale, et la mobilisation des acteurs de la culture d’autant plus nécessaire, que les plateformes Internet, essentiellement extra-européennes, mènent une intense action de lobbying à Bruxelles. Si, comme l’a rappelé le nouveau Président de la République française, la confiance dans l’avenir passe par une Europe forte et protectrice, alors celle-ci doit aussi protéger ceux qui sont le maillon le plus fragile de la création artistique, mais sans lesquels il n’y aurait pas de création à l’heure du numérique, les auteurs et leur droit à vivre de leur travail grâce au droit d’auteur », poursuit-il.
« FAIRE ENTENDRE QUE LA DIVERSITE EST AU COEUR DE L’IDENTITE CULTURELLE EUROPEENNE N’A PAS ETE SIMPLE »
« Alors que nous fêtions le 25/03/2016 les 60 ans du texte fondateur de l’Union européenne, Mme Comodini Cachia, eurodéputée maltaise du PPE (affiliation européenne du parti Les Républicains) présentait ses amendements sur la réforme du droit d’auteur dans le marché unique numérique. Ces propositions remettent en question l’important travail entrepris par la Sacem et de nombreux acteurs de la culture depuis 2014.
À son arrivée, le Président de la Commission européenne, M. Juncker, avait promis de “briser les barrières nationales du droit d’auteur“, préalable selon lui à la construction d’un grand marché numérique européen.
Cette vision résultait de l’idée, fondamentalement fausse, que le droit d’auteur, invention européenne, freinerait l’essor du numérique.
À la suite de ce discours, une vaste mobilisation avait vu le jour à l’échelle de l’Europe, pour réorienter le projet bruxellois. La France et d’autres États membres ont mis la Commission en garde contre les risques d’un affaiblissement du droit d’auteur. Des parlementaires européens de gauche comme de droite se sont mobilisés, des dizaines de milliers d’artistes d’Europe et du monde entier ont signé des appels alertant sur l’urgence de protéger leurs droits dans l’économie numérique.
Nous avons mené, en parallèle, un important travail de conviction sur le sujet du droit d’auteur auprès des deux commissaires européens en charge du dossier à Bruxelles – l’Allemand Günther Oettinger et l’Estonien Andrus Ansip, ainsi qu’auprès du Président Jean-Claude Juncker.
Faire valoir auprès de la Commission européenne que la culture est le troisième employeur européen et que le droit d’auteur n’est pas un obstacle à la circulation des œuvres de l’esprit, mais au contraire la condition sine qua non de leur existence et de leur richesse, a été un combat âpre et de longue haleine.
Faire entendre que la diversité est au cœur de l’identité culturelle européenne n’a pas été simple. Pourtant, la très libre circulation des films et séries américains en Europe est la meilleure illustration que l’exception culturelle, loin d’être un protectionnisme dépassé, est le principe indispensable à la vitalité de la création en Europe.
Ce travail et la mobilisation sans précédent des artistes européens ont porté leurs fruits et ont conduit la Commission européenne à revoir sa position, en apportant aux créateurs des garanties face aux grands acteurs Internet.
La proposition de directive publiée en septembre dernier a ainsi reconnu un principe fondamental pour le futur des industries culturelles et créatives : celui d’un nécessaire partage équitable de la valeur entre les créateurs et les plateformes comme YouTube, dont les revenus publicitaires exponentiels reposent essentiellement sur la diffusion de contenus culturels, sans pour autant rémunérer équitablement les créateurs.
Le projet de directive prévoit ainsi l’obligation pour les plateformes de négocier des licences avec les titulaires de droits, et la mise en place de procédés techniques permettant de mieux identifier les œuvres, ou d’empêcher leur exploitation illégale. Un cercle vertueux donc : des artistes et des œuvres toujours plus nombreux sur Internet, mais mieux rémunérés et gardant un contrôle sur leurs œuvres que ce soit directement ou à travers leurs sociétés d’auteurs, qui sont leur indispensable outil commun à l’heure du numérique.
Sur ce point, la Commission européenne, qui cristallise souvent les critiques puisque c’est elle qui est à l’origine des propositions de directives et de règlements, a réellement amélioré son texte. Mais ce n’est qu’une étape du processus législatif européen. La proposition de directive est maintenant en discussion devant le Parlement européen qui va pouvoir amender ce projet, et sera également discutée par les Etats membres au sein du Conseil.
Or, autant le projet de directive sur la réforme du droit d’auteur, publié par la Commission, a été plutôt une bonne surprise, autant les premières discussions au Parlement Européen sont inquiétantes.
Sans vouloir entrer dans des considérations juridiques trop techniques, le projet de rapport de Mme Comodini Cacchia revient sur le critère déterminant permettant d’engager la responsabilité des plateformes, à savoir le rôle actif qu’elles jouent dans l’exploitation de biens culturels.
En choisissant de ne plus définir ce qui constitue le rôle actif joué par les plateformes, Mme Comodini vide en réalité de toute leur substance les obligations mises à la charge des plateformes par la Commission. Le risque est que ces plateformes puissent continuer à échapper à leur responsabilité en se réfugiant derrière les dispositions de la directive commerce électronique de 2000, pourtant désormais complètement dépassée.
Si ce projet de rapport ne préjuge pas de la position qui sera celle finalement adoptée par le Parlement européen, il est particulièrement préoccupant, au point que de nombreux parlementaires de son propre groupe politique se sont opposés publiquement aux propositions de Mme Comodini Cacchia en soulignant que sa position ne reflétait pas celle du PPE.
La question est d’autant plus cruciale, et la mobilisation des acteurs de la culture d’autant plus nécessaire, que les plateformes Internet, essentiellement extra-européennes, mènent une intense action de lobbying à Bruxelles.
Si, comme l’a rappelé le nouveau Président de la République française, la confiance dans l’avenir passe par une Europe forte et protectrice, alors celle-ci doit aussi protéger ceux qui sont le maillon le plus fragile de la création artistique, mais sans lesquels il n’y aurait pas de création à l’heure du numérique, les auteurs et leur droit à vivre de leur travail grâce au droit d’auteur. »
Jean-Noël Tronc