« Le plafond des deux taxes est un combat prioritaire » (Jean-Baptiste Gourdin, CNM)
Ce qui m’a frappé en revenant dans le secteur, c’est de retrouver beaucoup de têtes connues. Alors que le contexte, lui, a complètement changé. Lorsque j’ai travaillé sur la préfiguration en 2011, on était encore en pleine crise du disque. Pour autant l’utilité d’un opérateur de filière, transversal, réunissant spectacle vivant et musique enregistrée, est tout aussi évidente dans le paysage actuel. Ce qui m’a frappé aussi, c’est l’ampleur du chemin parcours en cinq ans par le CNM, dans un contexte peu évident marqué par la crise sanitaire. Et l’on ne peut à ce titre que rendre hommage au travail accompli par Jean-Philippe Thiellay et Romain Laleix. Je mesure la chance de prendre les rênes d’un établissement en ordre de marche.
Vous arrivez après une fin d’année 2024 chahutée pour le CNM, marquée par le vote de la réforme des aides dont le contenu a mécontenté une partie de la filière, et après l’instauration de la « taxe streaming », elle aussi mal vécue par certains. Comment comptez-vous retisser des liens durables avec le secteur ?
J’ai passé l’essentiel de mes deux premiers mois de mandat à aller à la rencontre des multiples organisations de la filière. Et je n’ai pas terminé. Le constat général que je dresse, c’est qu’entre le CNM et son environnement économique, les liens ont été fragilisés par différents facteurs objectifs, factuels et exogènes à l’établissement.
Le premier, c’est qu’ayant été créé deux mois avant le début de la crise sanitaire, le CNM a concentré son énergie, entre 2020 et 2022, à gérer les conséquences de cette crise sanitaire. Cela lui a permis de trouver sa place immédiatement et de faire la preuve de son utilité, mais cela a aussi eu pour effet collatéral de voir le CNM vivre en surrégime par rapport aux moyens initialement prévus. Ces moyens financiers considérables, le CNM a continué à en bénéficier une fois la crise passée, avec des reports successifs de reliquats. En 2025, nous revenons à un périmètre d’intervention normal, et donc par définition plus faible que ces dernières années. Cela crée nécessairement de l’insatisfaction, et des tensions pour le « partage du gâteau ».
Le deuxième facteur est lié à la création de la taxe streaming, qui a divisé la filière. Mais c’était prévisible de ne pas obtenir de consensus sur un tel projet. Enfin, le troisième concerne la réforme des aides, qui était nécessaire afin de permettre à nos dispositifs une meilleure adaptation aux réalités de la filière, et une meilleure prise en compte de ses enjeux de transformation. Elle a été menée au terme d’un important travail de concertation et de manière sérieuse. Mais lorsque l’on touche à des critères d’éligibilité, à des seuils ou à des plafonds en matière d’aides, on ne fait pas que des heureux, c’est une évidence.
« Le “nouvel élan“ ne signifie pas qu’on repart d’une page blanche »
À cela il faut ajouter les tensions qu’il y a pu avoir entre le CNM et son ministère de tutelle, sur des questions de positionnement institutionnel et de répartition des rôles entre l’opérateur, la DGCA et les services déconcentrés. C’est l’héritage d’un flou originel, le législateur ayant posé un principe de complémentarité sans préciser ce que cela recouvrait.
Tout cela explique le souhait des autorités politiques de donner un « nouvel élan » à l’établissement, en me nommant. Ce « nouvel élan », selon moi, ne signifie pas qu’on repart d’une page blanche. Il y a un héritage, un acquis considérable, des équipes compétentes et engagées, un organigramme clair, un modèle de financement harmonieux et un projet stratégique formalisé dans un COP.
En regard de ces atouts, il y a ce besoin de renouer un peu plus le lien avec la filière, en travaillant à ce qui peut l’unir. C’est indispensable, dans un contexte global lourd de menaces : remise en question de la politique culturelle et de sa légitimité, contexte budgétaire compliqué, débat sur la pertinence des opérateurs publics, attaques de la nouvelle administration américaine contre toutes les formes de régulation qui iraient contre ses intérêts… On a besoin, dans les prochains mois, de faire bloc, CNM, filière et ministère, pour montrer qu’il y a un véritable affectio societatis, et que tout le monde est convaincu de l’intérêt d’avoir un outil de filière. Si l’on n’y parvient pas, on a des menaces existentielles à très court terme.
La réforme des aides telle qu’elle a été entérinée ne mérite donc pas d’être requestionnée dans l’immédiat ?
Toute réforme est perfectible, surtout quand il s’agit de la première ! Mais en termes de méthode, je considère qu’il n’est pas de bonne politique de remettre en chantier une réforme dont l’encre est à peine sèche. La Cour des comptes l’a dit : un aspect sur lequel nous devons progresser consiste en l’évaluation de l’impact de nos interventions, le fameux « effet levier ».
Sur ce sujet, la Cour a raison, le compte n’y est pas. On ne sait pas évaluer l’impact de nos aides sur un projet, et ce qu’elles permettent de produire en termes de choix économique. Il serait absurde de dire que tous les projets que nous aidons n’existeraient pas si on ne les aidait pas. Mais les choix d’investissements des opérateurs ne seraient sans doute pas les mêmes si nos régimes d’aides n’existaient pas. Évaluer ce qui se passerait sans nos aides est très difficile à réaliser. Pourtant, c’est un préalable à toute nouvelle réforme ou même à d’éventuels ajustements. Il faut laisser cette réforme vivre et produire ses effets, avec, pourquoi pas, une clause de revoyure dans le courant de l’année 2026.
Mon point de vue, je le disais, c’est que la réforme a été menée sérieusement. Et que les orientations générales l’ayant présidé sont bonnes : harmonisation des critères, renforcement de la conditionnalité des aides… Sur la question du droit de tirage, on voit bien aujourd’hui qu’on a besoin de marges de manœuvre sur le sélectif, notamment quand on constate les difficultés auxquelles font face les festivals.
Le CNM fonctionne désormais avec deux taxes affectées. Le SNEP estime qu’il y a un déséquilibre dans l’affectation des aides, avançant que la musique enregistrée et l’édition musicale contribuent à hauteur de 17 M€ mais ne bénéficient en retour que de 10,5 M€. Que lui répondez-vous ?
« Il faut faire plus de transparence sur l’origine de nos ressources et leur destination »
Le SNEP, comme d’autres, pose une question très juste : le lien entre l’origine des ressources et leur affectation. Le CNM vit de quatre types de ressources, que sont les crédits budgétaires, les deux taxes affectées et les contributions volontaires des OGC. Jusqu’ici, la logique voulait qu’il n’y ait aucun fléchage des ressources. Tout était placé dans un pot commun et le débat sur l’affectation des aides était décorrélé de l’origine des ressources. Or, ce discours n’est pas tenable sur le long terme. Si l’on veut renforcer cet affectio societatis dont je parlais, cette sensation d’appartenir à une maison commune, il faut faire plus de transparence sur l’origine de nos ressources et leur destination.
Cela ne veut pas dire qu’il faut rentrer dans une logique de fléchage comptable strict. Mais travailler sur de grands équilibres, oui. De manière objective, sereine et intelligente.
À ce titre, les chiffres pointés par le SNEP me semblent assez discutables. Considérer que la contribution des OGC ne doit être dirigée que sur le phono et l’édition est contestable. Outre la SCPP et la SPPF, l’Adami, la Spedidam et la Sacem sont des organismes qui n’ont pas que la musique enregistrée dans leur périmètre de collecte. Et sur les aides transverses, on ne peut pas raisonner en termes d’affectation à un secteur plus qu’à un autre. Quand on aide un artiste à se développer à l’international, on le fait en aidant un label ou un tourneur, mais les effets de ruissellement se font sentir sur toute la filière.
Quelles sont les perspectives du CNM en termes de ressources pour 2025, avec une taxe sur la billetterie dont le plafond n’a que peu évolué dans la dernière loi de finances ?
Le plafond était fixé à 50 M€ pour 2024, et la taxe a finalement généré un produit de 56 M€. Elle a donc été écrêtée de 6 M€, qui sont repartis dans le budget de l’État. Pour 2025, le plafond a été rehaussé à 53 M€, et nos projections font état d’une taxe qui pourrait s’élever à 58 M€ environ. Elle serait donc à nouveau écrêtée, et dans des proportions significatives. C’est un fait nouveau pour le CNM, et qui s’est très peu produit du temps du CNV.
Ce sujet de la taxe, j’en fais un combat prioritaire, pas pour maximiser mon budget mais parce que c’est une question de principe. En effet, pourquoi décider que le budget du CNM doit être défini en valeur absolue ? Cela n’a aucun sens. Il faut partir de la réalité économique du secteur. Si l’on veut une politique publique qui ait un impact sur les choix, il faut que les moyens soient proportionnels au niveau d’activité. Qu’il n’y ait pas de décrochage entre l’évolution du secteur et l’évolution de nos moyens.
Du point de vue de la sociologie administrative, l’écrêtement, c’est une rupture du contrat avec la filière. Le principe même des taxes affectées, c’est qu’elles servent à une redistribution interne à la filière. Si l’on commence à en flécher une partie vers le budget général de l’État, cela signifie qu’on met en place une surtaxation du secteur. Quel sens cela a-t-il de décider que les producteurs de spectacles doivent surcontribuer, à la marge en plus de cela, au redressement des finances publiques ?
Enfin, l’écrêtement nous pose un problème technique : il est incompatible avec notre droit de tirage. Pour rappel, 60 % de la taxe versée par un contributeur est dirigée vers son compte entrepreneur, somme qui peut être mobilisée par l’entreprise dès le mois suivant. On n’a donc pas de mécanisme pour écrêter le droit de tirage, car celui-ci est constaté à la fin d’une année. Chaque entreprise paie la taxe, génère du droit de tirage et peut le mobiliser tout au long de l’année. On ne peut pas l’écrêter de manière rétroactive. Cela signifie donc que la variable d’ajustement, ce sont les aides sélectives. Si d’année en année on devait se retrouver avec un produit de la taxe amoindrie, et à rebours de la réforme de 2024 qui a renforcé les aides sélectives, on se retrouverait à rogner sur ces aides pour préserver le droit de tirage qui lui, est intangible. C’est dangereux.
« L’écrêtement de la taxe est incompatible avec notre droit de tirage »
Notre enjeu, c’est d’être capables de produire des projections fiables sur le rendement de la taxe, pour éclairer le débat, qui relèvera in fine d’une décision politique, et des échanges entre le ministère de la Culture, le ministère du Budget, et le parlement.
Qu’en est-il de la « taxe streaming », qui n’a pas été payée par tous les acteurs sur sa première année de mise en œuvre, et sur laquelle le CNM manque de visibilité, car collectée directement par l’administration fiscale ?
En 2024, son rendement a été de 10,4 M€, avec des projections initiales à 15 M€. La montée en puissance a été laborieuse, ce qui s’explique par le fait qu’il s’agissait d’une nouvelle taxe. Désormais, l’assiette est claire. Par ailleurs, dans la loi de finances 2025, un amendement porté par le Gouvernement, visant à lever le secret fiscal entre la DGFIP et le CNM, a été adopté. Nous pourrons donc aller voir la DGFIP pour lui demander des détails sur qui paie la taxe, ou non, et dans quelles proportions.
« Le CNM peut désormais aller voir la DGFIP pour lui demander qui paie la “taxe streaming“ »
Cette taxe est collectée et nous est reversée sur une base mensuelle. Lorsqu’on regarde son rendement sur les premiers mois de 2025, par rapport à l’année précédente, on voit une nette évolution. Cette dynamique est liée à la croissance continue du marché du streaming, et s’explique aussi par le fait que nous avons eu une importante régularisation de la part d’un contributeur qui n’avait pas payé en 2024. En revanche, et avant même notre rendez-vous avec la DGFIP, nous présumons que certains acteurs, notamment dans le champ du streaming gratuit, ne s’acquittent pas encore de la taxe, sans que nous sachions précisément quel volume de taxe leur contribution représenterait.
Entre la régularisation que j’évoquais et la montée en puissance naturelle de la taxe, il est déjà quasiment certain que nous allons dépasser, assez largement, les 13 M€ que nous avons budgétisés pour 2025. Si à cela s’ajoutent les contributeurs qui jusqu’ici ne payaient pas, nous pourrions, comme pour la taxe billetterie, arriver au plafond fixé à 18 M€. Dès cette année ou en 2026. Le combat concerne donc le plafond des deux taxes.
Le streaming, vous le disiez, continue de bénéficier d’une bonne dynamique en chiffre d’affaires, mais le taux de pénétration de l’abonnement payant en France reste inférieur à celui d’autres pays, et le nombre d’abonnés a progressé mois fortement en 2024 que les années précédentes, selon les chiffres du SNEP. Est-ce préoccupant ?
D’une part, je constate que la presse généraliste donne souvent une image très négative du streaming. On parle beaucoup de ce qui ne va pas, comme les fake streams, le modèle de répartition des revenus, l’IA… Ces débats ne doivent pas être éludés, mais il faut aussi souligner le fait que le streaming est le mode de consommation qui a sauvé l’industrie musicale, et l’a sortie de la crise dans laquelle elle se trouvait depuis plus de 10 ans.
Alors que le modèle de l’abonnement semble patiner un peu en France, réfléchir à la manière de faire « grossir le gâteau » du streaming me semble être un sujet dont peut s’emparer le CNM, avec les partenaires du secteur. Même si, à l’évidence, il ne s’agit pas d’un sujet qui concerne uniquement la France : les questions de tarification des offres ou de modèles enrichis se décident le plus souvent au niveau international, entre les plateformes et les ayants-droit. Néanmoins, le marché français, à la fois important et modeste en comparaison d’autres, peut être un bon territoire d’expérimentation pour les plateformes. Au CNM, nous pouvons éclairer le débat avec des données objectives, et en animant des discussions professionnelles. Ce sujet figure à mon sens parmi ceux qui pourront être discutés dans le cadre de la France Music Week, en juin.
« Réfléchir à la manière de faire “grossir le gâteau“ du streaming : un sujet dont peut s’emparer le CNM »
La Cour des comptes a audité le CNM et publié un rapport le 17/01/2025, qui invite notamment l’établissement à prioriser « ses missions afin de sortir de la logique de guichet ». Quelles sont les recommandations du rapport que vous allez observer en priorité ?
C’est une chance pour moi d’arriver juste après un rapport de la Cour des comptes. Cela permet de s’appuyer sur une radioscopie très exhaustive de l’activité et de la gestion de l’établissement. Ce rapport est fouillé et approfondi, et dresse des constats positifs : le rôle irréprochable de l’établissement pendant la crise sanitaire, sa gestion saine, sa situation RH qui s’est améliorée, la montée en puissance de ses activités d’observation et de formation…
Mais la Cour des comptes émet aussi des critiques et des recommandations, et c’est bien normal. Une partie de ces recommandations est déjà satisfaite, notamment celles ayant trait à la refonte du régime des aides ou la formalisation d’une politique de la filière, qui a été fixée dans le COP en juin 2024. Mais certaines recommandations restent à mettre en œuvre. Sachant qu’une partie ne s’adresse pas uniquement ou même pas principalement au CNM, mais à sa tutelle.
À ce sujet, au titre du « nouvel élan » que le ministère souhaite donner au CNM, figure la clarification des tâches et des missions dévolues respectivement à l’opérateur et aux services déconcentrés du ministère, et l’amélioration du dialogue entre nous. La DGCA est tout à fait volontaire pour travailler avec nous à cette clarification, j’en ai eu la confirmation dans mes premiers échanges avec Christopher Miles.
Dans les recommandations adressées directement au CNM, il y a la priorisation de nos missions à l’aune de moyens qui, bien que renforcés, restent contraints. Je n’ai pas encore d’idée précise de ce qu’il faut mettre en tête de nos priorités, même si j’ai quelques intuitions : l’observation du secteur, qu’on peut renforcer et muscler ; le développement international, qui est une véritable mission transverse du secteur, et qui est par ailleurs un enjeu économique pour le secteur et de soft power pour le pays ; ou encore l’évaluation.
La Cour des comptes aborde également la question de la gouvernance du CNM, jugée imparfaite. Est-ce un chantier à mettre en œuvre dans l’immédiat ?
Le constat que je dresse, c’est celui d’un paradoxe entre une gouvernance très dense, que ce soit au sein du conseil d’administration ou du conseil professionnel, et un sentiment diffus mais partagé que la concertation permanente voulue par le législateur ne fonctionne pas vraiment, ou alors hors instance. La réforme des aides ou la politique d’études se sont par exemple faites via des groupes de travail ad hoc. J’ai donc envie de travailler à l’évolution de la gouvernance, d’autant que c’est une demande de la ministre. Comme c’est un sujet sensible, je veux le faire de manière réfléchie et prendre le temps.
Cette gouvernance, en réalité, est un héritage. On a dû faire des compromis entre ce qu’étaient la gouvernance du CNV et celle des organismes d’intérêt général qui ont constitué le CNM, en donnant notamment une place aux OGC parce qu’ils contribuaient au financement de ces OIG. Tout en posant le principe que l’État devait être majoritaire, dans la mesure où le CNM est un établissement public. Cette gouvernance a quelque chose de très moderne, dans la mesure où elle reflète la conviction que l’intérêt général se forge dans un dialogue entre la puissance publique et la filière.
« Le constat d’une gouvernance perfectible est partagé par beaucoup »
Mais cela a conduit à créer un conseil d’administration comptant beaucoup de professionnels, et par conséquent aussi beaucoup de représentants de l’État, avec plus de 20 membres au total. Le CA est une instance de décision, pas de concertation. Pour cela, on a créé le conseil professionnel qui lui aussi est pléthorique, puisqu’il compte une quarantaine de personnes. Mais de par les sujets et les moments où il peut être saisi, il ne peut pas fonctionner comme une instance de concertation efficace. Ce constat d’une gouvernance perfectible est partagé par beaucoup. Si elle doit être refondue, la gouvernance doit mieux traduire le principe de concertation permanente voulue par le législateur.
Le rapport de la Cour des comptes pointe aussi la crise interne qu’a vécue le CNM, dénombrant 71 départs entre 2020 et 2023. Ce sujet RH est-il derrière vous ?
Il y a eu une vraie crise sociale au CNM, qui a atteint son paroxysme en 2022. Celle-ci est liée à une période où l’équipe a dû gérer un volume de crédits et de dispositifs d’aide gigantesque, avec des règles d’attributions qui changeaient très régulièrement pour être adaptées à la situation sanitaire. Mais cette crise est également liée au regroupement de plusieurs entités dont les salariés avaient un passé, des méthodes de travail et une culturelle professionnelle très différents.
Objectivement, la situation est bien meilleure aujourd’hui. La Cour des comptes le dit elle-même. Le climat est apaisé. Je sens une équipe soudée, qui évolue dans un organigramme clair. Pour autant, je ne dirais pas que le sujet est complètement derrière nous. D’abord, parce que lorsqu’un établissement vit une telle crise, il faut toujours être attentif aux signaux faibles qui montrent que la situation pourrait à nouveau se dégrader. Et puis, l’équipe du CNM conserve une taille modeste par rapport à l’ampleur de ses missions. Certes, on nous a affecté 10 ETP supplémentaires en 2023, mais certaines équipes du CNM restent sous-dimensionnées par rapport à la masse de travail à gérer.
« L’an dernier, 15 % des personnes en CDI ont quitté l’établissement. C’est beaucoup. »
Enfin, le taux de rotation des équipes reste un sujet prégnant chez nous, car élevé. L’an dernier, 15 % des personnes en CDI ont quitté l’établissement. C’est beaucoup. Les raisons sont variées, mais certains nous quittent avec un sentiment de fatigue, d’aigreur ou de lassitude. Paradoxalement, nous sommes très attractifs en recrutement. Chaque fiche de poste occasionne des dizaines, voire des centaines de candidatures. Nous avons donc un enjeu de fidélisation, mais aussi de qualité de vie au travail et de sens des missions des agents. Cela nous invite, comme le demande la Cour des comptes, à prioriser nos missions, afin de remédier à la sensation de dispersion qui peut parfois exister chez les agents. Mais aussi à cultiver la transversalité : même si l’on est affecté à une direction définie, il faut développer le sentiment d’appartenance au CNM. Pour moi, tout est lié, il existe une complémentarité entre les aides financières, l’observation et la formation. Ces passerelles existent, mais elles doivent être renforcées. C’est d’ailleurs une aspiration assez forte des équipes.
Vous interveniez sur la situation difficile des festivals, lors d’une table ronde organisée par la commission des Affaires culturelles et de l’Éducation de l’Assemblée nationale le 09/04/2025. Avec le désengagement de certaines collectivités, le CNM est-il amené à jouer un rôle plus central à l’endroit des festivals ?
Tout le monde a maintenant en tête « l’effet ciseau » dont sont victimes les festivals, entre hausse des coûts et stagnation voire baisse des recettes. À cela s’ajoute la concurrence accrue des concerts en stades ou en arénas, des questionnements sur les festivals pluridisciplinaires qui souffrent plus que la moyenne, ou encore des sujets liés aux aléas climatiques et à la transition écologique.
Face à cela, croire que le CNM incarne la réponse au travers de ses seuls outils financiers serait une erreur. L’établissement ne peut être la variable d’ajustement du désengagement de collectivités territoriales. Ce n’est pas notre rôle et cela ne serait même pas sain. Toutefois, depuis mon arrivée à la présidence de l’établissement, j’ai soumis au vote du conseil d’administration un budget rectificatif. Nous avions constaté un surplus en fin d’exercice 2024, du fait d’économies réalisées sur les frais de fonctionnement et d’heureuses surprises sur plusieurs types de recettes. Nous avons utilisé ce surplus pour couvrir le droit de tirage correspondant à la part de taxe qui avait été écrêtée, et avons ainsi pu garantir l’intégralité des sommes dues à ce titre aux entreprises qui devaient en bénéficier, malgré le plafonnement de la taxe. Nous avons attribué le reste aux aides sélectives, pour un total de 1,7 M€, et notamment à la commission festivals, qui en a bénéficié à hauteur de 300 000 €.
Mais la situation des festivals appelle une réponse beaucoup plus vaste et puissante, et une réflexion globale sur le modèle festivalier. La situation qu’ils vivent peut poser des questions de régulation, qui ne sont pas du ressort du CNM mais que nous pouvons éclairer à travers notre politique d’étude. Nous travaillons sur une grande étude relative à l’économie du live, qui permettra notamment d’ausculter les liens entre tourneurs et festivals. Cette étude peut servir de base à une réflexion.
Faut-il conditionner votre politique de soutien à un plafonnement des cachets, comme le suggérait un député lors de cette table ronde ?
Je n’en suis pas certain. Oui, le CNC conditionne ses aides à un plafonnement des cachets et de ce fait, régule les pratiques du marché. Mais dans le cinéma, aucun projet ne se fait sans l’aide du CNC, qui est central dans le financement du secteur. Si demain nous calquions ce modèle, et conditionnions le droit de tirage à un plafonnement des cachets des artistes programmés, peut-être que certains observeraient ce plafonnement mais les plus gros continueraient certainement à s’aligner sur le marché, et préféreraient se passer de leur droit de tirage, qui n’est pas suffisamment important dans l’équation économique. Donc on ne régulerait pas les pratiques de marché, on ne ferait que segmenter le secteur entre ceux qui touchent les aides et ceux qui préfèrent s’en passer.
Toutefois, et c’est déjà en place depuis longtemps, dans le cadre de nos aides sélectives, nous sommes attentifs à la notion d’artiste émergent. Cette notion, nous la définissons par deux critères que nous pensons être les plus objectifs possibles : le niveau des cachets et des jauges des salles dans lesquelles les artistes se produisent. Donc d’ores et déjà, sans plafonner les cachets, nous orientons plus volontiers nos aides vers des artistes dont les prétentions financières restent limitées. Et puis de fait, en dehors du droit de tirage qu’ils touchent de manière inconditionnelle, les très gros festivals qui programment majoritairement des têtes d’affiche ne bénéficient pas d’aide du CNM.