NEWS DE L’ÉDITION – AVRIL

« Le plafond des deux taxes est un combat prioritaire » (Jean-Baptiste Gourdin, CNM)

 

 

Paris – Entretien n°395150 – Publié le
 
 
 
 
 
« Le plafond de la taxe sur la billetterie était fixé à 50 M€ pour 2024, et la taxe a finalement généré un produit de 56 M€. Elle a donc été écrêtée de 6 M€, qui sont repartis dans le budget de l’État. Pour 2025, le plafond a été rehaussé à 53 M€, et nos projections font état d’une taxe qui pourrait s’élever à 58 M€ environ. Elle serait donc à nouveau écrêtée […]. Ce sujet de la taxe, j’en fais un combat prioritaire, pas pour maximiser mon budget mais parce que c’est une question de principe. En effet, pourquoi décider que le budget du CNM doit être défini en valeur absolue ? Cela n’a aucun sens. […] Si l’on veut une politique publique qui ait un impact sur les choix, il faut que les moyens soient proportionnels au niveau d’activité. Qu’il n’y ait pas de décrochage entre l’évolution du secteur et l’évolution de nos moyens », déclare Jean-Baptiste Gourdin, président du CNM, dans un entretien à News Tank le 18/04/2025.

Le deuxième facteur est lié à la création de la taxe streaming, qui a divisé la filière. Mais c’était prévisible de ne pas obtenir de consensus sur un tel projet. Enfin, le troisième concerne la réforme des aides, qui était nécessaire afin de permettre à nos dispositifs une meilleure adaptation aux réalités de la filière, et une meilleure prise en compte de ses enjeux de transformation. Elle a été menée au terme d’un important travail de concertation et de manière sérieuse. Mais lorsque l’on touche à des critères d’éligibilité, à des seuils ou à des plafonds en matière d’aides, on ne fait pas que des heureux, c’est une évidence.

« Le “nouvel élan“ ne signifie pas qu’on repart d’une page blanche »

À cela il faut ajouter les tensions qu’il y a pu avoir entre le CNM et son ministère de tutelle, sur des questions de positionnement institutionnel et de répartition des rôles entre l’opérateur, la DGCA et les services déconcentrés. C’est l’héritage d’un flou originel, le législateur ayant posé un principe de complémentarité sans préciser ce que cela recouvrait.

Tout cela explique le souhait des autorités politiques de donner un « nouvel élan » à l’établissement, en me nommant. Ce « nouvel élan », selon moi, ne signifie pas qu’on repart d’une page blanche. Il y a un héritage, un acquis considérable, des équipes compétentes et engagées, un organigramme clair, un modèle de financement harmonieux et un projet stratégique formalisé dans un COP.

En regard de ces atouts, il y a ce besoin de renouer un peu plus le lien avec la filière, en travaillant à ce qui peut l’unir. C’est indispensable, dans un contexte global lourd de menaces : remise en question de la politique culturelle et de sa légitimité, contexte budgétaire compliqué, débat sur la pertinence des opérateurs publics, attaques de la nouvelle administration américaine contre toutes les formes de régulation qui iraient contre ses intérêts… On a besoin, dans les prochains mois, de faire bloc, CNM, filière et ministère, pour montrer qu’il y a un véritable affectio societatis, et que tout le monde est convaincu de l’intérêt d’avoir un outil de filière. Si l’on n’y parvient pas, on a des menaces existentielles à très court terme.

La réforme des aides telle qu’elle a été entérinée ne mérite donc pas d’être requestionnée dans l’immédiat ?

Toute réforme est perfectible, surtout quand il s’agit de la première ! Mais en termes de méthode, je considère qu’il n’est pas de bonne politique de remettre en chantier une réforme dont l’encre est à peine sèche. La Cour des comptes l’a dit : un aspect sur lequel nous devons progresser consiste en l’évaluation de l’impact de nos interventions, le fameux « effet levier ».

Sur ce sujet, la Cour a raison, le compte n’y est pas. On ne sait pas évaluer l’impact de nos aides sur un projet, et ce qu’elles permettent de produire en termes de choix économique. Il serait absurde de dire que tous les projets que nous aidons n’existeraient pas si on ne les aidait pas. Mais les choix d’investissements des opérateurs ne seraient sans doute pas les mêmes si nos régimes d’aides n’existaient pas. Évaluer ce qui se passerait sans nos aides est très difficile à réaliser. Pourtant, c’est un préalable à toute nouvelle réforme ou même à d’éventuels ajustements. Il faut laisser cette réforme vivre et produire ses effets, avec, pourquoi pas, une clause de revoyure dans le courant de l’année 2026.

Mon point de vue, je le disais, c’est que la réforme a été menée sérieusement. Et que les orientations générales l’ayant présidé sont bonnes : harmonisation des critères, renforcement de la conditionnalité des aides… Sur la question du droit de tirage, on voit bien aujourd’hui qu’on a besoin de marges de manœuvre sur le sélectif, notamment quand on constate les difficultés auxquelles font face les festivals.

Mais cela a conduit à créer un conseil d’administration comptant beaucoup de professionnels, et par conséquent aussi beaucoup de représentants de l’État, avec plus de 20 membres au total. Le CA est une instance de décision, pas de concertation. Pour cela, on a créé le conseil professionnel qui lui aussi est pléthorique, puisqu’il compte une quarantaine de personnes. Mais de par les sujets et les moments où il peut être saisi, il ne peut pas fonctionner comme une instance de concertation efficace. Ce constat d’une gouvernance perfectible est partagé par beaucoup. Si elle doit être refondue, la gouvernance doit mieux traduire le principe de concertation permanente voulue par le législateur.

Le rapport de la Cour des comptes pointe aussi la crise interne qu’a vécue le CNM, dénombrant 71 départs entre 2020 et 2023. Ce sujet RH est-il derrière vous ?

Il y a eu une vraie crise sociale au CNM, qui a atteint son paroxysme en 2022. Celle-ci est liée à une période où l’équipe a dû gérer un volume de crédits et de dispositifs d’aide gigantesque, avec des règles d’attributions qui changeaient très régulièrement pour être adaptées à la situation sanitaire. Mais cette crise est également liée au regroupement de plusieurs entités dont les salariés avaient un passé, des méthodes de travail et une culturelle professionnelle très différents.

Objectivement, la situation est bien meilleure aujourd’hui. La Cour des comptes le dit elle-même. Le climat est apaisé. Je sens une équipe soudée, qui évolue dans un organigramme clair. Pour autant, je ne dirais pas que le sujet est complètement derrière nous. D’abord, parce que lorsqu’un établissement vit une telle crise, il faut toujours être attentif aux signaux faibles qui montrent que la situation pourrait à nouveau se dégrader. Et puis, l’équipe du CNM conserve une taille modeste par rapport à l’ampleur de ses missions. Certes, on nous a affecté 10 ETP supplémentaires en 2023, mais certaines équipes du CNM restent sous-dimensionnées par rapport à la masse de travail à gérer.

« L’an dernier, 15 % des personnes en CDI ont quitté l’établissement. C’est beaucoup. »

Enfin, le taux de rotation des équipes reste un sujet prégnant chez nous, car élevé. L’an dernier, 15 % des personnes en CDI ont quitté l’établissement. C’est beaucoup. Les raisons sont variées, mais certains nous quittent avec un sentiment de fatigue, d’aigreur ou de lassitude. Paradoxalement, nous sommes très attractifs en recrutement. Chaque fiche de poste occasionne des dizaines, voire des centaines de candidatures. Nous avons donc un enjeu de fidélisation, mais aussi de qualité de vie au travail et de sens des missions des agents. Cela nous invite, comme le demande la Cour des comptes, à prioriser nos missions, afin de remédier à la sensation de dispersion qui peut parfois exister chez les agents. Mais aussi à cultiver la transversalité : même si l’on est affecté à une direction définie, il faut développer le sentiment d’appartenance au CNM. Pour moi, tout est lié, il existe une complémentarité entre les aides financières, l’observation et la formation. Ces passerelles existent, mais elles doivent être renforcées. C’est d’ailleurs une aspiration assez forte des équipes.

Vous interveniez sur la situation difficile des festivals, lors d’une table ronde organisée par la commission des Affaires culturelles et de l’Éducation de l’Assemblée nationale le 09/04/2025. Avec le désengagement de certaines collectivités, le CNM est-il amené à jouer un rôle plus central à l’endroit des festivals ?

Tout le monde a maintenant en tête « l’effet ciseau » dont sont victimes les festivals, entre hausse des coûts et stagnation voire baisse des recettes. À cela s’ajoute la concurrence accrue des concerts en stades ou en arénas, des questionnements sur les festivals pluridisciplinaires qui souffrent plus que la moyenne, ou encore des sujets liés aux aléas climatiques et à la transition écologique.

Face à cela, croire que le CNM incarne la réponse au travers de ses seuls outils financiers serait une erreur. L’établissement ne peut être la variable d’ajustement du désengagement de collectivités territoriales. Ce n’est pas notre rôle et cela ne serait même pas sain. Toutefois, depuis mon arrivée à la présidence de l’établissement, j’ai soumis au vote du conseil d’administration un budget rectificatif. Nous avions constaté un surplus en fin d’exercice 2024, du fait d’économies réalisées sur les frais de fonctionnement et d’heureuses surprises sur plusieurs types de recettes. Nous avons utilisé ce surplus pour couvrir le droit de tirage correspondant à la part de taxe qui avait été écrêtée, et avons ainsi pu garantir l’intégralité des sommes dues à ce titre aux entreprises qui devaient en bénéficier, malgré le plafonnement de la taxe. Nous avons attribué le reste aux aides sélectives, pour un total de 1,7 M€, et notamment à la commission festivals, qui en a bénéficié à hauteur de 300 000 €.

Mais la situation des festivals appelle une réponse beaucoup plus vaste et puissante, et une réflexion globale sur le modèle festivalier. La situation qu’ils vivent peut poser des questions de régulation, qui ne sont pas du ressort du CNM mais que nous pouvons éclairer à travers notre politique d’étude. Nous travaillons sur une grande étude relative à l’économie du live, qui permettra notamment d’ausculter les liens entre tourneurs et festivals. Cette étude peut servir de base à une réflexion.

Faut-il conditionner votre politique de soutien à un plafonnement des cachets, comme le suggérait un député lors de cette table ronde ?

Je n’en suis pas certain. Oui, le CNC conditionne ses aides à un plafonnement des cachets et de ce fait, régule les pratiques du marché. Mais dans le cinéma, aucun projet ne se fait sans l’aide du CNC, qui est central dans le financement du secteur. Si demain nous calquions ce modèle, et conditionnions le droit de tirage à un plafonnement des cachets des artistes programmés, peut-être que certains observeraient ce plafonnement mais les plus gros continueraient certainement à s’aligner sur le marché, et préféreraient se passer de leur droit de tirage, qui n’est pas suffisamment important dans l’équation économique. Donc on ne régulerait pas les pratiques de marché, on ne ferait que segmenter le secteur entre ceux qui touchent les aides et ceux qui préfèrent s’en passer.

Toutefois, et c’est déjà en place depuis longtemps, dans le cadre de nos aides sélectives, nous sommes attentifs à la notion d’artiste émergent. Cette notion, nous la définissons par deux critères que nous pensons être les plus objectifs possibles : le niveau des cachets et des jauges des salles dans lesquelles les artistes se produisent. Donc d’ores et déjà, sans plafonner les cachets, nous orientons plus volontiers nos aides vers des artistes dont les prétentions financières restent limitées. Et puis de fait, en dehors du droit de tirage qu’ils touchent de manière inconditionnelle, les très gros festivals qui programment majoritairement des têtes d’affiche ne bénéficient pas d’aide du CNM.