COUR DES COMPTES : « LE MINISTÈRE DE LA CULTURE DOIT RETROUVER SON ÉLAN D’ADMINISTRATION STRATÈGE »
Paris – Actualité n°236710 – Publié le 14/12/2021
• Faire en sorte que le ministère de la Culture propose « une vision de la culture participant de la mission générale d’éducation poursuivie par l’État (…) ce qui implique en particulier un renforcement de l’action en direction de la jeunesse »,
• « Permettre l’accès du plus grand nombre à la culture à travers la poursuite des efforts de démocratisation culturelle, l’invention de formes nouvelles pour développer l’EAC, ainsi que la promotion d’initiatives inclusives », via « des actions et des aides en direction des territoires et publics défavorisés »,
• « Renforcer la prise en charge de la question du numérique, afin d’en faire un levier majeur de son action, notamment en matière de conservation, de valorisation et de diffusion de la culture, mais aussi comme vecteur de densification des contenus »,
tels sont les « objectifs stratégiques du ministère de la Culture à redéfinir », selon une note de la Cour des comptes intitulée « Recentrer les missions du ministère de la Culture » et publiée le 14/12/2021.
Cette note fait partie « d’un ensemble de travaux destinés à présenter, sur plusieurs grandes politiques publiques, les principaux défis auxquels seront confrontés les décideurs publics au cours des prochaines années et les leviers qui pourraient permettre de les relever », indique l’organisation.
« L’extension continue de la sphère marchande, les transformations induites par la révolution numérique et les offensives des entreprises du GAFAM, la rivalité des puissances dont le “soft power” est devenu une arme à part entière, ou encore les interrogations sur les ressorts dont procèdent les perspectives du “vivre ensemble” » forment les nouveaux défis du ministère de la Culture qui « doit retrouver son élan d’administration stratège », détaille la Cour des comptes.
Le « plan de transformation du ministère de la Culture », lancé en juillet 2019, avec « le triple objectif de renforcer les politiques transverses, faire de la culture une priorité pour les jeunes, et repositionner l’action de l’État semblait apporter des réponses. Si quelques-unes des pistes alors ouvertes ont débouché sur des réformes ponctuelles, la crise sanitaire et le changement des équipes en charge de piloter le processus global semblent avoir entraîné le gel de ce plan », indique la Cour des comptes.
Méthode
• Les problématiques développées dans cette note portent sur le périmètre des activités du ministère relevant de la Mission « Culture ».
• « Cette note a été établie sur la base des observations que la Cour des comptes a pu dégager à l’occasion des contrôles menés dans le secteur de la culture depuis 2015, complétées par celles qui relèvent des travaux réalisés dans ce champ par les chambres régionales et territoriales des comptes. »
• « La note fait partie d’un ensemble de travaux destinés à présenter, sur plusieurs grandes politiques publiques, les principaux défis auxquels seront confrontés les décideurs publics au cours des prochaines années et les leviers qui pourraient permettre de les relever. » Cette série de publications, qui s’étale d’octobre à décembre 2021, s’inscrit dans le prolongement du rapport remis en juin 2021 au Président de la République : « Une stratégie des finances publiques pour la sortie de crise ».
• La Cour des Comptes, « conformément à sa mission constitutionnelle d’information des citoyens, a souhaité développer une approche nouvelle, qui se différencie de ses travaux habituels, et ainsi apporter, par cette série de notes volontairement très synthétiques et ciblées, sa contribution au débat public, tout en veillant à laisser ouvertes les différentes voies de réformes envisageables ».
Préconisations de la Cour des comptes
« Achever le mouvement de déconcentration et de transferts aux collectivités territoriales »
- « Pousser jusqu’à son terme le transfert des activités opérationnelles du MC à des opérateurs relevant de sa tutelle ou aux collectivités territoriales. »
- Sont notamment concernés : la « quinzaine de musées de service à compétence nationale, qui ne disposent en réalité d’aucune marge de manœuvre leur permettant de se développer ».
- « Achever le transfert des personnels des opérateurs nationaux pour permettre aux établissements concernés de conduire une véritable politique de ressources humaines, donc de disposer de l’ensemble des leviers pour optimiser leur gestion globale. »
- Sont concernés : des établissements publics avec le statut de SCN « dont une partie des agents continuent d’être rémunérés et administrés par le ministère, agents dits “du titre II” :
- Le musée Picasso (Paris 3e),
- L’Établissement public du musée des arts asiatiques Guimet (Paris 16e),
- Le Mucem à Marseille,
- L’Établissement public du château de Fontainebleau ».
- Sont concernés : des établissements publics avec le statut de SCN « dont une partie des agents continuent d’être rémunérés et administrés par le ministère, agents dits “du titre II” :
- « Transférer aux collectivités territoriales des monuments nationaux paraissant ressortir davantage d’une gestion de proximité. »
« Réorganiser le ministère sur son cœur de métier »
- « Pousser au maximum la déconcentration des processus de décision et de gestion au niveau des DRAC et tirer les conséquences, au plan des moyens humains qui leur sont alloués, de l’évolution subséquente de leurs missions. »
- « Procéder à une meilleure articulation entre les directions générales et le secrétariat général, ce qui suppose une redéfinition du périmètre des directions. »
- « Réviser le modèle économique des opérateurs : les musées et les opérateurs du spectacle vivant ont vu leurs ressources propres s’effondrer sans que les prévisions de fréquentation future permettent d’escompter un retour au niveau précédent. »
- « Faire bénéficier aux musées et opérateurs du spectacle vivant une mutualisation des fonctions qui leur sont communes pour en réduire les coûts globaux, notamment dans la sphère muséale, ou pour en faciliter l’exercice grâce à des prestations de service collectif, notamment chez les petits opérateurs. »
- « Élaborer une politique de ressources humaines spécifique à la catégorie des cadres supérieurs, fondée sur l’enrichissement des tâches managériales, le développement d’une véritable gestion prévisionnelle des emplois et compétences et une politique de rémunération incitative dans le but d’accroître la fluidité des parcours entre le ministère et ses opérateurs. »
Constats de la Cour des comptes sur la politique du MC
« Un pouvoir d’orientation et d’incitation émoussé »
- « Compte tenu du différentiel de croissance entre l’évolution du budget du ministère et celle des crédits consacrés à la culture par les collectivités territoriales, ainsi que des financements d’origine privée, le pouvoir d’orientation et d’incitation du ministère s’est incontestablement émoussé. »
- « Le ministère de la Culture consacre une part de plus en plus importante de ses activités à la distribution de fonds publics. On constate aussi un saupoudrage des aides selon une politique de guichet et de droits acquis difficile à remettre en cause, ce qui rend de moins en moins lisibles les priorités de la politique culturelle de l’État. »
Spectacle vivant : « l’atomisation des crédits »
- « Les crédits du MC attribués aux institutions et acteurs culturels sont à 45 % préemptés par le financement des grandes institutions nationales (contre 38 % en 2000), ce qui réduit les marges financières de l’État pour soutenir d’autres acteurs. »
- « La politique d’aides allouées au spectacle vivant, en dehors du financement des grandes structures labellisées, conduit à une atomisation des crédits, lourde en gestion. »
« Le ministère et les professionnels eux-mêmes reconnaissent que les financements publics massifs : subventions budgétaires, aides, sans compter les très importants effets du régime de l’intermittence, ont conduit à une offre surabondante, donc à un déséquilibre entre création et diffusion. Cela devrait sans doute être un important chantier de réforme, que les effets de la crise sanitaire rendent encore plus impérieux. »
Patrimoine : « les grands opérateurs franciliens favorisés »
- « Les grands opérateurs et leurs projets franciliens ont été favorisés, au détriment du patrimoine communal et rural, pourtant le plus fragile, car porté par des propriétaires sans grands moyens. »
- « Les conditions de déclenchement et les taux appliqués aux aides à l’entretien et à la restauration du patrimoine varient selon les DRAC, sans que se dégage une doctrine homogène fixant, de façon nette, des critères de choix et d’opportunité. »
Administration : « huit ministres de 2007 à 2021, un manque de continuité »
- « Depuis 2007, huit ministres en moins de quatorze ans se sont succédés au MC et autant, sinon plus, de directeurs de cabinet et de secrétaires généraux, ce qui a affecté la continuité de la direction et le pilotage stratégique de la politique culturelle de l’État. »
- On observe des « difficultés pour l’administration centrale d’attirer les cadres et experts techniques. Le niveau des rémunérations offertes en administration centrale est de moins en moins attractif ».
Pilotage de la politique culturelle : « une réduction des marges de manœuvre »
- « Les marges de manœuvre du ministère se réduisent de plus en plus à l’engagement de projets ponctuels d’importance variable :
- Le lancement d’un grand chantier conduisant à l’érection d’un nouveau bâtiment comme le Mucem ou la Philharmonie de Paris (Paris 19e)
- La restauration d’un ancien bâtiment, assortie d’un projet d’utilisation renouvelé comme le Grand Palais (Paris 8e) ou le château de Villers-Cotterêts (Aisne)
- La création d’un nouvel opérateur comme le Centre national de la musique
- Le soutien en matière de légitimation ou de bouclage financier, apporté à une multitude de projets dans les territoires. »
- « Hormis des initiatives de portée générale, comme la gratuité dans les musées pour les jeunes ou le “Pass Culture”, la politique du ministère consiste principalement dans la poursuite d’une politique de subventions et de guichet, avec pour conséquence, dans nombre de cas, l’accroissement des charges financières pesant durablement sur son budget ».
- « L’élaboration d’une politique culturelle nationale répondant aux enjeux de l’époque, ou en phase avec elle, n’est plus perçue comme la mission prioritaire du ministère, d’où découleraient toutes les autres ».
Chiffres clés
- Budget exécuté de la mission Culture : 2,95 Md€ en 2019 et 3,16 Md€ en 2020 (incluant des mesures exceptionnelles de soutien liées à la crise sanitaire)
- Dépenses culturelles des collectivités locales en 2019 : « environ 10 Md€ »
- Effectifs du ministère de la culture en 2020 : « près de 9 400 agents »
- Effectifs des opérateurs du ministère de la Culture en 2019 : « près de 14 000 agents ».