« Attaquer les opérateurs culturels, c’est favoriser l’hégémonie du mainstream » (J.-P. Thiellay, CNM)
Paris – Actualité n°385202 – Publié le 24/01/2025 à 16:40
« Alors que le gouvernement cherche à résoudre l’impossible équation des équilibres budgétaires et politiques, un nouveau mantra fait florès depuis quelque temps : questionner l’utilité des “1 000 agences” (expression employée par le Premier ministre dans son discours de politique générale) et autres opérateurs de l’État, tels que l’Observatoire de la biodiversité, l’Ademe ou le CNRS. Une martingale pour réduire la dépense publique, supprimer des postes de fonctionnaires et débureaucratiser le pays. (…) Dans le cadre de la discussion sur le PLF 2025, à l’automne dernier, les députés RN avaient déposé plusieurs amendements dont l’objectif affiché était de brider l’action de certains établissements publics, dont le Centre national de la musique, avant de les réinternaliser au ministère de la Culture », déclare Jean-Philippe Thiellay, président du CNM, dans une tribune publiée sur le site de Libération le 23/01/2025.
« La réinternalisation débureaucratiserait-elle l’action publique ? Rappelons que (…) l’agilité d’un établissement public a été bien utile lorsqu’il a fallu, pendant la crise du Covid-19, faire parvenir le plus vite possible les aides aux festivals, salles de concerts, labels, tourneurs, éditeurs de musique, partout sur le territoire. Ce n’est faire offense à personne que de juger que l’administration de l’État ne peut aller aussi vite. (…) Un “problème démocratique” est parfois évoqué : ces opérateurs seraient incontrôlables, et les ministres seraient dépossédés de leur responsabilité. Or, un établissement public est gouverné par un conseil d’administration dans lequel l’État a la majorité », poursuit-il.
« Il est, en revanche, certain que l’administration publique dans son ensemble doit réinterroger ses méthodes et ses pratiques. (…) C’est de ce côté-là qu’il faut regarder plutôt que vers de telles propositions démagogiques. À défaut, si l’opérateur de la musique est, demain, rayé de la carte, les majors et les stars internationales pourront remercier le RN et tous ceux qui auront repris leur rhétorique faite de démagogie et d’ignorance », ajoute-t-il.
Jean-Philippe Thiellay quittera ses fonctions de président de l’établissement le 31/01/2025, n’ayant pas été renouvelé. News Tank publie des extraits de la tribune.
- « (…) Que se passerait-il en cas de suppression du CNM et de réinternalisation de ses missions et de ses moyens au sein du ministère de la Culture ?
- En créant elles-mêmes ce mécanisme redistributif, bien avant le CNM, les entreprises productrices de spectacles avaient consenti à mettre en commun et à redistribuer le produit de la taxe sur la billetterie.
- Si celui-ci part un jour dans le budget de l’État, si, en lieu et place d’un établissement qui fonctionne en “concertation permanente”, selon les termes de la loi, c’est un bureau du ministère de la Culture ou ses services en région qui décident de l’affectation de ces sommes, alors le contrat sera rompu. On pourra alors faire une croix sur des mécanismes redistributifs et solidaires qui ont fait leurs preuves depuis quarante ans.
- Renoncer à ces moteurs puissants aurait des effets très directs et concrets : dans un contexte déjà très difficile, la disparition de nombreux festivals et de salles serait certaine. Les stades, les arenas, les zéniths, les plus grands festivals continueront à accueillir des tournées internationales et les plus grandes stars, avec des prix des billets de plus en plus élevés, tarification dynamique aidant.
- Pour le reste, ce sera la désolation, comme au Royaume-Uni où, chaque semaine, deux salles de concert ont fermé leurs portes depuis 2023.
- (…) Un “problème démocratique” est parfois évoqué : ces opérateurs seraient incontrôlables, et les ministres seraient dépossédés de leur responsabilité. Or, un établissement public est gouverné par un conseil d’administration dans lequel l’État a la majorité. Entre 2020 et fin 2024, le CA du CNM s’est réuni… 28 fois, et toutes ses décisions structurantes sont visées par le représentant de Bercy. Les ministres successifs (quatre en quatre ans…) ou leurs représentants ont eu tout le loisir de transmettre leurs instructions. »
Jean-Philippe Thiellay