Sacem : 1,41 Md€ de collectes en 2022 (+34 % vs. 2021, +26 % vs. 2019), le « online » à 493 M€
Paris – Article n°292149 – Publié le 21/06/2023 à 11:00
La Sacem a collecté des droits d’auteurs à hauteur de 1,413 Md€ en 2022, annonce-t-elle, à l’occasion de son assemblée générale annuelle, le 20/06/2022. Ce résultat est en hausse de 34 % comparé à 2021 (1,056 M€) et de 26 % comparé à 2019 (1,119 Md€), soit avant la crise sanitaire. « L’année 2022 signe enfin le retour des concerts, des festivals, la reprise des revenus publicitaires des médias – notamment audiovisuels – et surtout la forte croissance du online », indique l’OGC.
Pour la deuxième année consécutive, le numérique constitue le premier foyer de droits de la Sacem, à 493 M€ de collectes, soit 38 % de plus qu’en 2021 (357,9 M€). « Une tendance qui reflète les évolutions des modes de consommation de biens culturels mais surtout illustre l’expertise développée par la Sacem dans la collecte et la gestion des droits numériques », selon l’OGC, qui précise avoir traité 275 000 milliards d’actes de streaming et de téléchargements en 2022.
Parallèlement, la société d’auteurs a réparti un total de 1,056 Md€ en 2022, soit +19 % en un an (886 M€ en 2021). « Pour autant, cette belle reprise et la transformation en cours à la Sacem ne doivent pas faire oublier la situation plus préoccupante de certains créateurs. Tous, en effet, n’ont pas bénéficié de la croissance significative du numérique qui concentre beaucoup de ses revenus sur peu d’élus », indique la Sacem. « On observe une fragilisation de notre classe moyenne d’auteurs et compositeurs, qui n’arrivent pas à trouver la juste équation sur le “online“. Et ce dans un contexte où on les a en plus privés de concerts pendant deux ans », ajoute David El Sayegh, directeur général adjoint de la Sacem, dans un entretien à News Tank.
La Sacem indique, enfin, avoir fait de la maîtrise de [ses] coûts « l’une de ses priorités », et précise ainsi avoir diminué son taux de gestion à 11,65 % en 2022 (contre 14,8 % en 2021), soit « le taux le plus bas jamais atteint » par la société d’auteurs.
La Sacem en 2022
Chiffres clés
- 1 413,4 M€ de collecte (+34 % vs 2021) dont :
– 492,6 M€ pour le « online » (+38 %)
– 353,1 M€ pour la TV/Radio/opérateurs (+19 %)
– 327 M€ pour les droits généraux (+93 %) - « Plus de 14 100 nouveaux membres » à travers le monde en 2022
– 24,5 % ont moins de 25 ans - « Près de 5 000 sociétaires » aidés via le Fonds de secours d’urgence et le Comité du Cœur Sacem pour 3,9 M€ en 2022
- « Plus de 3 375 projets » accompagnés par l’action culturelle en 2022, pour un montant de 29,2 M€
« Plus des deux tiers de nos collectes sur le “online” sont liées à nos mandats » (David El Sayegh)
La Sacem a collecté 1,4 Md€ de droits en 2022, en forte hausse non seulement par rapport à 2021 mais aussi par rapport à 2019, année pré-Covid. Comment expliquez-vous cette croissance et ce montant de collecte historique ?
Globalement, le « online » constitue la source principale de croissance des collectes de la Sacem, avec une hausse de 35 % par rapport à 2021. Il s’agit de notre première source de revenus pour la deuxième année consécutive et, avec près de 500 M€, ce secteur représente 35 % de nos perceptions. Les droits généraux sont eux aussi en forte croissance en 2022, après une année 2021 compliquée, mais à 327 M€, leur montant ne renoue pas encore avec le pic de 2019. Les médias affichent aussi une belle année, mais dans des proportions qui n’ont rien à voir avec le numérique.
Cette hausse des collectes issues du numérique chez nous est liée à la croissance naturelle du marché, mais aussi à notre capacité à agréger des répertoires, d’éditeurs internationaux ou d’autres sociétés d’auteurs, que nous représentons pour les exploitations numériques sur certains territoires. Pour être précis, sur les 493 M€ de collectes « online », 70 M€ sont liés à la SVOD. Sur les plus de 400 M€ de collectes qui concernent directement la musique, plus des deux tiers sont liés à nos mandats, que nous ont confiés par exemple Universal Music Publishing, la Socan, Impel, l’Ascap ou encore la Komca.
Les auteurs et compositeurs membres de la Sacem ressentent-ils, eux, la dynamique autour de ces collectes tirées du numérique ?
Pas totalement, non. La consommation dans le streaming est très concentrée. Du temps du physique, on faisait souvent référence à la « loi de pareto », selon laquelle 20 % des artistes généraient 80 % des revenus. Cette proportion est multipliée par 40 sur le « online » : aujourd’hui, 0,5 % des artistes font 80 % des revenus. Si l’on fait partie des 500 artistes les plus streamés, tant mieux, mais sinon, la situation est compliquée. Il y a donc un véritable enjeu sur la concentration dans le « online ».
Comment corriger ce biais, sur un mode de consommation à la demande ?
Le streaming est en effet un mode de consommation à la demande mais les écoutes sont aussi générées par les playlists, les algorithmes ou la visibilité qu’on octroie aux artistes sur les plateformes. Ces dernières peuvent donc avoir un impact en améliorant la découvrabilité des artistes et des genres musicaux. Agir à ce niveau-là n’empêcherait pas ceux qui connaissent le succès de continuer à en avoir, mais cela permettrait d’équilibrer un peu plus les volumes d’écoutes. Car, ce que j’observe à la Sacem, c’est une fragilisation de notre classe moyenne d’auteurs et compositeurs, qui n’arrivent pas à trouver la juste équation sur le « online ». Et ce dans un contexte où on les a en plus privés de concerts pendant deux ans.
Qu’attendez-vous du rapport d’initiative en cours au Parlement européen sur le sujet du streaming musical ?
« Les plateformes ne sont pas régulées, contrairement aux chaînes de télévision ou aux radios »
Le streaming musical cannibalise tout : quand on écoute en streaming, on n’achète plus de disques et on écoute moins la radio. Au niveau mondial, ce mode de consommation représente désormais largement plus de la moitié des revenus de la musique enregistrée dans la plupart des pays. Pourtant, ces plateformes ne sont pas du tout régulées, contrairement aux chaînes de télévision, aux radios… Or, l’enjeu de la découvrabilité est essentiel. On est en droit d’attendre, de la part des plateformes, des informations sur la diversité de ce qui est consommé chez elle. Mais certaines ne partagent rien, d’autres peu, d’autres encore des chiffres qui les arrangent. Ce n’est pas ainsi que l’on peut prendre des décisions et construire une économie du streaming fiable.
Et puis, mais je l’avais déjà évoqué précédemment, il y a un problème avec les plateformes qui refusent d’augmenter leur tarif d’abonnement. Spotify, leader du marché, n’y est pas encore venu. Ces services n’ont plus rien à voir avec ce qu’ils étaient à leur démarrage, en termes de catalogue, de services, de fonctionnalités… Cela doit se traduire par une hausse des tarifs. Une fois qu’on y sera, peut-être pourra-t-on espérer un léger mieux dans la rémunération des auteurs. Car dans une rémunération proportionnelle, le taux est certes essentiel, mais l’assiette est primordiale.
L’idée de la « taxe streaming » formulée dans le « rapport Bargeton », qui permettrait de réinjecter de l’argent dans le secteur au profit notamment des créateurs, est-elle vertueuse, selon vous ?
La Sacem n’a rien contre cette taxe, mais souhaite qu’elle ne se limite pas au streaming par abonnement, et qu’elle ne vienne pas déstabiliser le marché du streaming. Nous aimerions aussi savoir comment son produit serait utilisé, car il n’y a aucune expression des besoins pour la filière dans le rapport du sénateur Julien Bargeton. Ce qui nous gêne particulièrement dans ce rapport, c’est l’idée selon laquelle l’action culturelle des OGC pourrait à moyen terme être transférée au CNM. Cela, il en est hors de question. Le CNM a son utilité mais les OGC aussi : ils ne servent pas à la même chose et sont complémentaires.
Pour revenir sur vos résultats, les droits généraux repartent très fort. Y a-t-il, là aussi, une forme de concentration des collectes autour des artistes présents en stade en 2022, au détriment d’autres catégories d’artistes ?
Cette concentration existe aussi dans le live même si elle est moins forte que dans le streaming. En 2022, on a vu une foultitude de concerts liés à la reprise, après la disette imposée par la crise sanitaire. Les artistes internationaux sont revenus massivement dans le pays. Donc là aussi il faut être alerte, et bien avoir en tête les enjeux liés à la diversité. C’est aussi pour cela que nous soutenons l’émergence et les esthétiques fragiles au travers de notre action culturelle, laquelle a aidé 3 375 projets en 2022, pour un montant de 29,2 M€, issus principalement des 25 % de la rémunération pour copie privée.
Comment évoluent les collectes de copie privée, justement ? Quelles sont les perspectives, dans un monde où les usages sont davantage tournés vers le streaming que vers la copie ?
« La Sacem n’a rien contre la « taxe streaming », mais souhaite qu’elle ne se limite pas au streaming par abonnement »
La Sacem a perçu 104 M€ au titre de la copie privée en 2022. C’est une ressource non négligeable, et importante pour ce qu’elle nous permet de financer via le « 25 % ». Sur les usages, le streaming n’est pas complètement incompatible avec la copie privée, car la copie de flux sur YouTube entre dans ce cadre-là. Et il ne s’agit pas d’une pratique marginale, loin de là. Par ailleurs, l’acte de copie privée ne se résume pas au fait de copier un enregistrement sur un support. Enregistrer avec son téléphone portable la prestation d’un artiste pendant un concert relève d’un acte de copie privée. Et là aussi, on ne peut pas dire qu’il s’agisse d’un usage marginal. De manière générale, un contenu protégé par un droit d’auteur, quelle que soit sa forme, est éligible à la copie privée à partir du moment où il est copié et stocké, si la source de cette copie est licite et si la copie de l’œuvre est réservée à un usage personnel, dans le cercle familial.
Sur les perspectives, le cloud a été reconnu par la CJUE comme une source assujetissable. Jusque-là, la Cours de cassation exigeait que l’auteur de la copie soit propriétaire du matériel de copie pour que ce droit s’exerce. Cela ne valait pas si la copie était effectuée via un tiers, tel qu’un service de cloud. Mais la CJUE est revenue sur cette notion, et il faut donc prendre le cloud en considération dans les usages. La commission pour la rémunération de la copie privée va s’y atteler. Difficile pour l’instant d’estimer ce que cela peut représenter. Ce sont les études d’usage qui nous le diront.
Un autre chiffre interpelle dans votre bilan 2022 : le taux de gestion de la Sacem baisse de 3 points en un an pour atteindre 11,65 %. Comment y êtes-vous parvenu ?
C’est une conjonction de facteurs : une gestion saine et rigoureuse, liée entre autres au plan de départs volontaires de 2020 qui s’est traduit par 150 départs, et des investissements qui portent aujourd’hui leurs fruits. La « Sacem 3.0 » est une réalité, et la maîtrise des coûts fait partie de nos priorités. Aujourd’hui, les auteurs peuvent faire le choix de la société à laquelle ils veulent confier leurs droits. Avec les rapports de transparence, ils peuvent aisément voir lesquelles sont les plus performantes. Sur le taux de gestion, la Sacem est compétitive par rapport aux autres sociétés européennes. Grâce à notre réseau partout en France, nous collectons plus et mieux certains droits. Sur les droits généraux, par exemple, la Sacem est la première société européenne en termes de collecte, et de loin.
Quel est l’avis de la Sacem sur la reconduction de M6 pour l’exploitation du canal 6, tel que décidé par l’Arcom en février ?
« 12 primes musicaux par an sur M6 à terme, c’est plutôt satisfaisant »
Dans les semaines qui ont précédé cette reconduction, nous n’avons pas pris position pour un dossier plus que l’autre. Notre préoccupation était la place accordée à la musique, quel que soit l’opérateur. Nous avons pris acte du choix de l’Arcom de reconduire M6. Notre intérêt n’est pas de dicter aux chaînes ce qu’elles doivent faire, mais d’obtenir, en matière de musique, des engagement quantitatifs et qualitatifs. L’aspect qualitatif, dans la convention, se manifeste par les primes, ceux-ci passant de 5 ou 6 par an à 12, à terme. Ces primes seront diffusés sur M6, et ne seront pas mutualisables avec les autres chaînes du groupe. C’est donc plutôt satisfaisant. D’autant que la musique à la télévision aux heures de grande écoute, même si cela reste un exercice compliqué, peut fonctionner. TF1 fait 35 primes musicaux à l’année, dont certains rencontrent un énorme succès.