NEWS DE L’EDITION – MAI 2022

« PARVENIR À UNE FORME DE RÉGULATION DES ACTEURS DU STREAMING MUSICAL » (ROCH-OLIVIER MAISTRE, ARCOM)

Paris – Entretien n°252008 – Publié le 24/05/2022

« L’Arcom, qui est aujourd’hui pleinement opérationnelle, est une autorité publique indépendante très identifiée dans le paysage français. Elle est aussi l’une des plus substantielles : elle compte 355 collaborateurs et gère un budget de 46,6 M€. (…) La création de l’Arcom a été l’occasion d’une réorganisation interne, pour embrasser nos nouvelles attributions et pour croiser les compétences de l’Hadopi et du CSA. Nous ne voulions pas d’une simple juxtaposition des deux anciennes autorités. (…) Il nous reste désormais à finaliser l’installation de l’ensemble des agents de l’Arcom Tour Mirabeau, car une partie des agents de l’Hadopi se trouve encore pour quelques semaines dans les locaux de la rue de Texel », déclare Roch-Olivier Maistre, président de l’Arcom, à News Tank le 24/05/2022.

Ce dernier dresse un premier de l’action de la nouvelle autorité publique indépendante, depuis sa création le 01/01/2022, notamment en termes de lutte contre le piratage. « La mise en place des nouveaux outils s’est faite très rapidement, en particulier sur tout le volet relatif à la lutte contre le piratage des événements sportifs, type de contenu sur lequel les pratiques illégales ont explosé ces dernières années. Depuis le 01/01/2022, entre les décisions de justice et notre intervention sur les “sites miroirs”, environ 400 sites illicites ont été bloqués », détaille Roch-Olivier Maistre. Sur les contenus culturels, les premières « listes contrefaisantes », servant à « informer les intermédiaires du paiement en ligne ou de la publicité du caractère illicite de certains sites », seront publiées « prochainement ».

Enfin, Roch-Olivier Maistre revient sur l’application des quotas de chanson francophone à la radio, et sur l’aménagement entré en vigueur début 2022. Il évoque également la possibilité d’une régulation des plateformes de streaming musicales. « Radio et streaming sont en réalité deux modes de consommation distincts : l’un est un média linéaire, l’autre fonctionne à la demande. Mais le streaming musical se caractérise tout de même par l’implémentation d’un algorithme de recommandation, et par une forme d’éditorialisation de l’offre au travers de listes de diffusion. (…) Si l’on veut encourager une forme de diversité et de soutien à la création, on voit mal comment on pourrait échapper à une forme de régulation des plateformes de streaming ». 

Roch-Olivier Maistre répond aux questions de News Tank.


L’Arcom a presque six mois d’existence. Quel premier bilan peut-on tirer de la fusion entre le CSA et l’Hadopi ?

D’abord, je tiens à souligner la rapidité à laquelle le secteur audiovisuel se transforme. Cela fait 40 ans que je suis ce secteur avec une grande attention et j’observe aujourd’hui que cette transformation est notamment marquée par un véritable bouleversement des usages, entre ancienne et nouvelle générations, et par l’arrivée de nouveaux acteurs, que sont les grandes plateformes vidéo et audio. Cette mutation est également d’ordre économique : les revenus des médias audiovisuels liés à la publicité subissent une stagnation, voire déclinent de façon structurelle, alors que ceux des GAFAN sont florissants.

Face à cette accélération de la mutation, il était indispensable que la régulation elle-même s’adapte. Depuis 2019, sept textes de loi sont venus élargir les attributions du régulateur. La création de l’Arcom s’inscrit dans ce contexte pour mieux répondre aux enjeux du moment pour tout le secteur audiovisuel mais aussi pour mettre en place une régulation des grands acteurs systémiques de l’Internet.

L’Arcom, qui est aujourd’hui pleinement opérationnelle, est une autorité publique indépendante très identifiée dans le paysage français. Elle est aussi l’une des plus substantielles : elle compte 355 collaborateurs et gère un budget de 46,6 M€. Au regard des missions supplémentaires qui nous ont été confiées au fil des ans, notamment en ce qui concerne la régulation numérique, nous serons amenés à solliciter à l’avenir un renfort de nos ressources.

« La réussite de la fusion tient en grande partie à la volonté réciproque des deux autorités »

La création de l’Arcom a été l’occasion d’une réorganisation interne, pour embrasser nos nouvelles attributions et pour croiser les compétences de l’Hadopi et du CSA. Nous ne voulions pas d’une simple juxtaposition des deux anciennes autorités. Nous avons par exemple créé une direction de la création. Celle-ci couvre aussi bien la fixation et le contrôle des obligations en matière de financement de la création et d’exposition des œuvres, par les chaînes de télévision et les plateformes de SVOD, que la protection du droit d’auteur et la lutte contre le piratage. Cette direction réunit des agents issus aussi bien du CSA que de l’Hadopi, ce qui favorise l’intégration des équipes.

La réussite de cette fusion tient en grande partie à la volonté réciproque des deux autorités. La préfiguration a été engagée très en amont par le biais d’une convention passée entre le CSA et l’Hadopi. Il nous reste désormais à finaliser l’installation de l’ensemble des agents de l’Arcom Tour Mirabeau car une partie des agents de l’Hadopi se trouve encore pour quelques semaines dans les locaux de la rue de Texel.

Sur la lutte contre le piratage, l’Arcom dispose désormais de moyens étendus. Comment se déploient-ils sur ces premiers mois d’activité ?

La mise en place des nouveaux outils s’est faite très rapidement, en particulier sur tout le volet relatif à la lutte contre le piratage des événements sportifs, type de contenu sur lequel les pratiques illégales ont explosé ces dernières années. Depuis le 01/01/2022, entre les décisions de justice et notre intervention sur les « sites miroirs », environ 400 sites illicites ont été bloqués. La nouvelle procédure repose sur une saisine du juge judiciaire par les titulaires de droits sur ces événements sportifs. Le juge rend une ordonnance de blocage dans des délais très rapides permettant aux fournisseurs d’accès d’intervenir avec célérité. Souvent, une fois cette procédure effectuée, des « sites miroirs » apparaissaient et proposent le même type de contenu. La loi permet désormais aux ayants-droit de se tourner directement vers l’Arcom. Après vérification par nos agents assermentés que les sites litigieux sont bien liés au référé rendu par le juge, nous demandons alors leur blocage aux FAI. Tout cela se fait évidemment dans des délais rapides, pour que les « sites miroirs » soient désactivés avant le début des épreuves sportives. Nous travaillons désormais à automatiser la chaîne allant de l’ayant-droit aux FAI en passant par l’Arcom.

Cette procédure se décline de la même manière pour les contenus culturels. Avec cette différence que la loi nous permet, sur cette partie, d’établir des « listes contrefaisantes » servant à informer les intermédiaires du paiement en ligne ou de la publicité du caractère illicite de certains sites. Nous y travaillons en bonne intelligence avec les ayants-droit, qui sont les mieux placés pour identifier les sites qui piratent leurs œuvres. Les premières « listes contrefaisantes » seront publiées prochainement.

« Nous travaillons à automatiser la chaîne allant de l’ayant-droit aux FAI en passant par l’Arcom. »

Nous entendons par ailleurs travailler activement sur les contournements possibles de ces nouveaux outils juridiques par les sites pirates afin d’anticiper pour mieux les maîtriser.

Quid de la pédagogie et de la promotion de l’offre légale auprès du public, l’un des axes de travail de l’Hadopi en son temps ?

À côté du volet coercitif, il est important de continuer à développer le volet pédagogique, et de sensibiliser les plus jeunes comme les moins jeunes aux bonnes pratiques. L’Hadopi et le CSA avaient chacune une convention avec l’Éducation nationale. Elles seront unifiées et réactualisées. Le CSA est historiquement implanté dans chaque région de France ; cette organisation a été pérennisée avec l’Arcom. Chaque Arcom locale, en lien avec le rectorat et l’académie, va prolonger son action en matière d’éducation aux médias et à l’information, et la développer sur les aspects liés à la lutte contre le piratage et à la régulation des réseaux sociaux.

Pour promouvoir les offres légales, nous travaillons aussi avec le CNC à une grande campagne de sensibilisation sur les méfaits du piratage. Nous souhaiterions qu’elle soit diffusée par les exploitants de salles, les chaînes et les réseaux sociaux. La musique, à ce titre, est un exemple intéressant : à partir du moment où se sont développés des services en ligne proposant une offre quasi exhaustive à un prix abordable, le piratage musical a sensiblement diminué. Il faut parvenir à impulser cette dynamique dans les autres secteurs.

Les quotas de chanson francophone, que l’Arcom continue de faire appliquer aux radios, ont fait l’objet d’un aménagement entré en vigueur en début d’année. Quelle est la réflexion qui a mené à cela ?

La radio est un média dont le modèle est aujourd’hui bousculé : sa ressource publicitaire diminue, notamment parce qu’elle est concurrencée par les plateformes de streaming et chahutée par la montée en puissance du podcast.  Elle fait aussi face à des évolutions technologiques importantes, avec le déploiement du DAB+, sur lequel la France tend à rattraper son retard. Nous espérons à cet égard pouvoir couvrir 50 % de la population métropolitaine cette année.

« La radio est un média dont le modèle est aujourd’hui bousculé . »

Cette situation, globale, impose au régulateur d’anticiper et d’accompagner ces évolutions. Il faut soutenir le déploiement de la radio numérique, tout en faisant en sorte de conserver la richesse de la bande FM. Il faut également être attentif à la réglementation relative aux quotas. À ce titre, les radios ont souhaité que cette réglementation puisse être ajustée aux nouvelles réalités du secteur. Une mission parlementaire « flash » a été conduite par les députées Florence Provendier et Michèle Victory, il y a deux ans. Nous avons par la suite lancé un cycle d’auditions avec les représentants de la filière musicale et les radios, pour voir quelles adaptations pouvaient être envisagées, dans les limites autorisées par la loi. C’est en effet la loi qui pose l’essentiel des règles en la matière. Il en est résulté une délibération qui modifie quelques paramètres et qui est entrée en vigueur le 01/01/2022.

Nous avons, ainsi, fait évoluer la notion de « nouveau talent », en nous calant sur la définition prévue dans le code général des impôts, au titre du crédit d’impôt phonographique : un nouveau talent est un artiste qui ne doit pas avoir dépassé le seuil des 100 000 équivalents-ventes pour deux albums distincts.

Nous avons également fait évoluer la notion des « heures d’écoute significative », en l’avançant à 6h du matin en semaine, à 6h30 le samedi et à 7h le dimanche. Cela donne aux radios une plage horaire un peu plus vaste pour respecter leurs quotas.

Nous avons aussi souhaité mieux prendre en compte les rythmes de programmation des radios, et sommes ainsi passés d’un contrôle mensuel à un contrôle trimestriel pour permettre aux stations de respecter leurs quotas sur une période plus longue.

Les radios souhaitaient que l’on aille plus loin, et la filière musicale moins ; les évolutions que nous avons entérinées sont donc un compromis raisonnable, même s’il est encore trop tôt pour apprécier l’impact de ces modifications sur la diffusion de chanson francophone à l’antenne.

Dans ce souci d’adaptation aux nouveaux usages, est-il nécessaire selon vous d’appliquer une forme de régulation aux plateformes de streaming musical, tout au moins sur une partie de leur offre ?

Cette asymétrie, entre l’application d’une réglementation très contraignante pour les radios – liée à une politique publique efficace en matière culturelle – et l’absence de contraintes pour les services de streaming, pose question. D’autant que les deux entrent de plus en plus en concurrence : l’usage des services de streaming devient central dans l’écoute de contenus. Et l’algorithme de recommandation personnelle est un outil de découverte particulièrement efficace. Il y a de plus en plus une forme d’éditorialisation.

« Radios et services de streaming entrent de plus en plus en concurrence. »

Faut-il, donc, étendre la régulation aux plateformes de streaming ? La question se pose d’autant plus que pour les plateformes de SVOD, c’est désormais le cas, depuis la transposition de la directive SMA. Cette législation fixe, pour les plateformes étrangères opérant sur notre territoire, une obligation d’exposition d’au moins 30 % d’œuvres européennes, et une obligation d’investissement dans la production locale, à hauteur de 20 % de leur chiffre d’affaires réalisé en France. Sur l’ensemble des acteurs concernés, cela représentera cette année environ 230 M€ de financement pour la création française : c’est un apport très significatif.

Pour le streaming musical, le législateur n’a pas encore tranché la question. Le projet avait été envisagé dans une première version du projet de loi « audiovisuel », mais la version finalement votée au Parlement l’an dernier n’a pas retenu ce point. Je ne doute pas du fait que la question sera à nouveau posée.

Est-ce la raison qui a poussé l’Arcom à réaliser sa première étude sur le sujet de la diversité sur les plateformes de streaming ? 

Il s’agissait là d’une première étude que nous pourrons certainement enrichir à l’avenir avec une méthodologie encore plus robuste, en travaillant étroitement avec le CNM et la filière musicale. Ce qu’on a pu observer dans cette première étude c’est que si le répertoire francophone est fortement consommé sur les plateformes de streaming, ce résultat est avant tout dû à la consommation très importante d’un genre musical dominant : le rap. Il y a donc un phénomène de concentration et, quelque part, d’absence de diversité. Les radios musicales sont, quant à elles, plus équilibrées dans la diffusion des répertoires francophone et anglophone, et plus diversifiées dans les genres musicaux qui sont joués.

Notre volonté est de poursuivre cette phase d’observation, en lien avec la filière musicale et le CNM en particulier, pour savoir si la régulation a sa place, ou pas. Nous avons adopté une démarche similaire sur le podcast, en créant un « observatoire du podcast » avec le ministère de la Culture.

Pensez-vous, à titre personnel, qu’une régulation doit s’imposer ?

Radio et streaming sont en réalité deux modes de consommation distincts : l’un est un média linéaire, l’autre fonctionne à la demande. Mais le streaming musical se caractérise tout de même par l’implémentation d’un algorithme de recommandation, et par une forme d’éditorialisation de l’offre au travers de listes de diffusion. Ces deux éléments ne sont pas anodins et incitent à réfléchir à la mise en place d’une régulation. Si l’on veut encourager une forme de diversité et de soutien à la création, on voit mal comment on pourrait échapper à une forme de régulation des plateformes de streaming. Donc oui, pour la musique, je pense qu’il faudra parvenir, à un moment, à une forme de régulation des acteurs du streaming musical, pour corriger les asymétries du secteur.

Comment l’Arcom appréhende-t-elle la fin annoncée de la redevance audiovisuelle ?

La position du régulateur, qui est également ma position personnelle, a toujours été de défendre un financement spécifique et pérenne pour l’audiovisuel public, notamment parce c’est la condition de l’indépendance des entreprises du service public. Au regard de la décision annoncée par l’exécutif, ce que nous recommandons, c’est que le dispositif qui sera retenu donne aux entreprises audiovisuelles publiques de la visibilité, pour leur apporter de la stabilité, quel que soit le mode de financement adopté pour compenser l’arrêt de la redevance.

« Trouver un mécanisme qui contribue à garantir l’indépendance de l’audiovisuel public »

Aussi, les contrats d’objectifs et de moyens des entreprises de l’audiovisuel public pourraient être calés autant que possible sur la durée de la législature, afin qu’elles sachent quel sera leur niveau de financement dans la durée. Il faut aussi trouver un mécanisme qui contribue à garantir l’indépendance de l’audiovisuel public. Pourquoi ne pas imaginer que l’exécutif consulte l’Arcom avant le débat budgétaire annuel qui fixe le niveau de financement des entreprises de l’audiovisuel public ? Dans la mesure où l’Arcom nomme déjà les dirigeants de ces entreprises et donne un avis annuel sur l’exécution de leurs contrats d’objectifs et de moyens et le respect de leur cahier des charges, il me semblerait naturel que l’Autorité puisse également donner un avis, tous les ans, sur la dotation envisagée par l’Etat, et ainsi s’assurer qu’elle est conforme au niveau des missions qui leurs sont confiées.