« L’ENJEU DU CNM, C’EST D’APPORTER DE LA COHÉSION AU MONDE MUSICAL » (CATHERINE RUGGERI)
Paris – Publié le mercredi 16 octobre 2019
« L’enjeu du CNM, c’est d’apporter de la cohésion au monde musical. Pour garantir cette cohésion, il faut un acteur neutre, et donc que l’État soit majoritaire au sein du CA. C’est la raison fondamentale pour laquelle existent les établissements publics dans des domaines où prévaut l’action économique, où s’exerce la concurrence et où les intérêts et les points de vue semblent parfois très antagoniques au sein d’un même secteur. Mais ce CA sera élargi aux professionnels, ce qui répond à leurs attentes. Nous y avons par exemple prévu un nombre de sièges significatif pour le spectacle vivant », déclare Catherine Ruggeri, présidente du comité opérationnel de mise en place du CNM, à News Tank le 16/10/2019.
Elle évoque parallèlement le rôle du conseil professionnel du futur établissement, « qui devrait comprendre entre 35 et 40 membres » et sera doté de « vastes compétences ». « Les décisions importantes relatives aux commissions d’aides, au contrat de performance négocié avec l’État, aux conventions discutées avec les collectivités, mais aussi aux études et au rapport d’activité, devront lui être soumises pour avis, avant examen du CA », indique-t-elle.
Catherine Ruggeri aborde également l’intégration de l’IRMA, du Bureau Export, du FCM et du Calif au futur CNM. « Tous les salariés des différentes structures qui vont intégrer le CNM seront repris. C’est le droit du travail qui s’applique puisqu’il s’agit de contrats de droit privé. Et cela est précisé dans le décret d’application de la loi portant création du CNM. Sur les disparités qui peuvent exister d’une association à une autre, les conditions de travail seront discutées dans le cadre d’un dialogue social qui débouchera sur un nouvel accord d’entreprise, une fois les représentants du personnel du nouvel établissement public élus », précise-t-elle.
Le CNM verra le jour le 01/01/2020, et se substituera au CNV.
Catherine Ruggeri et Romain Laleix, vice-président du comité opérationnel, répondent aux questions de News Tank.
Vous avez précisé les contours de la gouvernance du futur CNM lors de votre audition à l’Assemblée nationale, le 09/10/2019. Cet établissement sera constitué d’un conseil d’administration et d’un conseil professionnel. Quel sera précisément le rôle de ce dernier, et sa capacité à peser dans les décisions et grandes orientations ?
Catherine Ruggeri : Nous avons voulu un conseil professionnel large, qui devrait comprendre entre 35 et 40 membres. Large parce que le monde musical est extrêmement divers. Ce conseil professionnel réunira toutes les parties prenantes significatives de la profession, et aura à cœur d’observer certains équilibres. Le spectacle vivant, dans toute sa diversité, y sera très représenté, mais on y comptera aussi les OGC ainsi que les représentants des producteurs phonographiques, des éditeurs de musique, des artistes naturellement, etc. Nous avons également souhaité y intégrer des diffuseurs, tels que les radios et les plateformes numériques, en dépit des réserves parfois exprimées… Enfin, nous avons également ajouté des représentants des collectivités territoriales, le Sénat ayant amendé le projet de loi en ce sens. La composition n’est pas gravée dans le marbre et pourra évoluer au fil du temps : le décret statutaire sur lequel nous avons travaillé pourra être amendé ultérieurement le cas échéant.
» La composition du conseil professionnel n’est pas gravée dans le marbre et pourra évoluer au fil du temps «
Nous avons voulu ce conseil professionnel pour doter le CNM d’une forte expertise. Ce conseil aura de vastes compétences : les décisions importantes relatives aux commissions d’aides, au contrat de performance négocié avec l’État, aux conventions discutées avec les collectivités, mais aussi aux études et au rapport d’activité, devront lui être soumises pour avis, avant examen du CA. Il pourra examiner toute question intéressant l’évolution du secteur ou l’activité de l’établissement et aura la possibilité de se saisir lui-même, si plus d’un tiers de ses membres le souhaite. Ce conseil professionnel sera nommé par le ministre de la Culture, ce qui montre l’importance qui lui est attachée.
Ensuite, l’implication des professionnels dans l’établissement ne s’arrêtera pas au conseil professionnel et prendra sa pleine mesure dans les diverses commissions. Celles-ci auront capacité à intégrer encore plus largement les professionnels des secteurs du champ du CNM.
De quelle manière les professionnels seront-ils représentés au sein du conseil d’administration ? Certains ont fait part de leur préoccupation à ce sujet, dans la mesure où ils apporteront une contribution financière au futur établissement. Même chose pour les producteurs de spectacles, avec un CNV dans le CA duquel les professionnels sont jusqu’ici majoritaires.
C. R. : L’enjeu de cet établissement, c’est d’apporter de la cohésion au monde musical. Pour garantir cette cohésion, il faut un acteur neutre, et donc que l’Etat soit majoritaire au sein du CA. C’est la raison fondamentale pour laquelle existent les établissements publics dans des domaines où prévaut l’action économique, où s’exerce la concurrence et où les intérêts et les points de vue semblent parfois très antagoniques au sein d’un même secteur.
« Nous allons proposer à un grand établissement du spectacle vivant d’intégrer le CA, tout comme au président du CNC ou encore à une personnalité issue du monde de la recherche »
Mais ce CA sera élargi aux professionnels, ce qui répond à leurs attentes. Nous y avons par exemple prévu un nombre de sièges significatif pour le spectacle vivant. Par ailleurs, nous souhaitons qu’il soit composé de présidents d’établissements publics, dont l’action joue un rôle important dans le monde musical et son environnement, ce qui renforcera son caractère professionnel. Nous allons notamment proposer à un grand établissement du spectacle vivant de l’intégrer, tout comme au président du CNC ou encore à une personnalité issue du monde de la recherche. Nous essayons ainsi d’imaginer un outil d’avenir.
Enfin, nous avons innové, dans la mesure où le CNM aura une représentation territoriale par le biais des DRAC. C’est la première fois qu’un établissement public sera ainsi représenté au niveau local.
Ce conseil d’administration de l’établissement public disposera, comme n’importe quel autre, de compétences stratégiques, dans la mesure où il votera le budget et le contrat de performance de la structure, soit sa stratégie à quatre ou cinq ans. Mais cela se fera évidemment avec l’appui du conseil professionnel.
Le président du CA du CNM sera nommé par le président de la République sur proposition du ministre de la Culture. Le CA sera nommé pour sa part directement par Franck Riester. Tous seront désignés préalablement à la création de l’établissement au 01/01/2020, tout comme la publication du décret statutaire. La nomination du conseil professionnel se fera dans un second temps.
Romain Laleix : Les professionnels attendent que l’État ait toute sa place dans le nouvel établissement, et qu’il soit le garant d’une forme de neutralité. Il y a une mission en particulier pour laquelle cette neutralité me semble tout à fait indispensable : l’observation. Nous avons une difficulté énorme à recueillir des données, à les comparer, car les périmètres d’études et les données sont hétérogènes et les constatations fragiles… Le fait que cette observation puisse être exercée dans la plus grande impartialité possible est donc essentiel.
C. R. : D’autant que même si le bilan du CNV est positif, il existe quelques points moins satisfaisants : l’observatoire de l’économie de la musique qui devait y voir le jour, après le vote de la loi LCAP, n’a jamais existé en particulier.
Vous avez évoqué devant les parlementaires l’intégration des différentes associations devant rejoindre le CNM, avec l’objectif que cela soit bouclé au premier trimestre 2020. Dans quelle condition se fera le transfert des personnels, avec des contrats et conditions de travail très différents d’une structure à une autre ? Chacun des salariés aura-t-il sa place dans le nouvel ensemble ?
» Il y a une mission en particulier pour laquelle cette neutralité semble tout à fait indispensable : l’observation «
C. R. : Tous les salariés des différentes structures qui vont intégrer le CNM seront repris. C’est le droit du travail qui s’applique puisqu’il s’agit de contrats de droit privé. Et cela est précisé dans le décret d’application de la loi portant création du CNM. Sur les disparités qui peuvent exister d’une association à une autre, les conditions de travail seront discutées dans le cadre d’un dialogue social qui débouchera sur un nouvel accord d’entreprise, une fois les représentants du personnel du nouvel établissement public élus. Les élections des instances représentatives du personnel interviennent au terme d’un processus d’au minimum trois mois. Donc à date, chaque situation individuelle sera préservée sans préjudice des futures conditions de travail des personnes amenées à intégrer le CNM. Nous sommes sur ce sujet accompagnés par un cabinet de conseil, à la fois pour garantir aux salariés que le transfert se fera dans des conditions sécurisantes, mais aussi pour se projeter dans les futures activités du CNM. Car l’essentiel, c’est bien de partager un projet commun.
R. L. : Nous avons pris également le soin d’associer les IRP de chacun des organismes à nos réflexions et allons, à partir de maintenant, avoir des réunions d’information très régulières avec eux pour les tenir au courant du calendrier.
Vous avez défini un plafond de 111 emplois pour le futur CNM, là où les cinq structures réunies cumulent 94 ETP. Quels sont les postes où le CNM va manquer de personnel ?
« Le CNM ne sera pas un simple guichet et ses dépenses ne se limiteront pas à des subventions et des frais de fonctionnement «
R. L. : Les 111 ETP constituent un plafond d’emplois qui, naturellement, ne sera pas atteint au 01/01/2020. Il appartiendra à la direction de l’établissement et à son conseil d’administration de bien calibrer les moyens. Pour autant, comme le prévoit la loi et le projet de décret, le CNM aura un périmètre de missions plus large que l’addition des activités des cinq organismes qui vont le constituer. En matière d’observation, par exemple, l’enjeu est de créer une direction des études à l’image de celle du CNC, qui compte près de 11 agents, contre 4 aujourd’hui rattachés à l’observatoire du CNV. L’établissement a également vocation à accompagner la structuration du secteur par des activités de conseil et d’expertise. Ce sont des femmes et des hommes qui feront vivre ces missions dans tous les domaines, comme l’international ou les territoires, et qui auront besoin des ressources adaptées pour le faire. Compte tenu de l’organisation actuelle des cinq organismes, il sera également nécessaire de renforcer les structures de l’établissement pour en assurer une gestion cohérente avec sa dimension et ses missions. Aucun des organismes ne dispose de directrice ou de directeur des ressources humaines. C’est naturellement une priorité.
Le CNM ne sera pas un simple guichet et ses dépenses ne se limiteront pas à des subventions et des frais de fonctionnement. Pour autant, comme nous avons eu l’occasion de l’indiquer à la Commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale lors de notre audition, il sera de la responsabilité de la direction de l’établissement d’assurer la gestion la plus rigoureuse possible des frais de fonctionnement. L’Etat et les différents partenaires de l’établissement y seront très attentifs.
C. R. : Il y a un sujet auquel je suis très attachée : la recherche. Je suis convaincue qu’il faut déployer des programmes de recherche, avec des instituts publics de très haut niveau, en phase avec les profondes mutations qui affectent la musique. Il s’agira de de connaître et d’anticiper : des études sur le marché, de sociologie et d’économie sur les usages, mais aussi sur des sujets technologiques comme la blockchain, qui sont centraux et sur lesquels il n’existe pas grand-chose de disponible.
Mais sur ce sujet, comme sur d’autres, ce que nous disons-là ne vaut, bien entendu, que comme réflexion aux travaux préparatoires du futur CNM. Ils n’engagent en rien le futur président de l’établissement. Et la parole qui est la nôtre est celle de tout le comité opérationnel de préfiguration, qui réunit les directeurs des cinq structures engagées.
Les ressources supplémentaires apportées par l’Etat s’élèveront à 7,5 M€ en 2020. Est-ce une déception ? Le CNM peut-il pleinement se déployer dans ces conditions ? Regrettez-vous qu’une ressource dynamique, et fiscale, n’ait finalement pas été retenue pour contribuer au financement du CNM, comme cela était proposé dans les rapports « Maistre » et « Bois-Cariou » ?
C. R. : Comment être déçu lorsqu’une mesure nouvelle de financement vient s’agréger à l’ensemble du budget ? Par ailleurs, ces 7,5 M€ constituent une somme suffisante pour démarrer l’établissement. Un travail de concertation va se mettre en place prochainement pour envisager l’utilisation de ces 7,5 M€, même si, là encore, c’est le CA qui votera en janvier 2020 son budget et l’orientation qu’il souhaite donner pour l’utilisation de ces fonds. Les priorités que nous avons identifiées avec la filière sont : le soutien à la création d’œuvres (auteurs, compositeurs et éditeurs), les territoires, avec un focus sur le spectacle vivant sous toutes ses formes, et l’international. Il y aura également une partie de ces ressources nouvelles dédiées à la transition, avec la création de ce nouvel établissement
Ces nouveaux moyens, complémentaires à ceux d’ores et déjà mobilisés, obligent à une coordination des actions et réflexions avec les professionnels, afin de créer un dispositif d’aide pertinent.
» Doit-on regretter l’appui d’une nouvelle ressource fiscale pour alimenter le CNM ? Bien évidemment, oui ! «
Enfin, doit-on regretter l’appui d’une nouvelle ressource fiscale pour alimenter le CNM ? Bien évidemment, oui ! De tous temps, les établissements publics dans les domaines culturels ont fonctionné avec un financement pour partie issu d’une redistribution de la valeur captée par des tiers. Avec des acteurs du numérique pesant si lourd et captant une valeur tellement significative, il y aurait en effet toute légitimité à ce que ceux-ci participent au financement de la musique. Au futur CNM d’objectiver pour le ministre ces questions dans le cadre de sa direction des études, et d’en informer les parlementaires. Cet établissement en aura les moyens, il sera un instrument de la régulation comme peut l’être aujourd’hui le CNC.
Les mécanismes d’aides des différentes structures qui rejoindront le CNM vont perdurer en 2020, vous l’avez rappelé pendant votre audition à l’Assemblée nationale. Quid, ensuite, de certains guichets que la profession aimerait conserver, comme le droit de tirage actuellement géré au CNV ?
» Pour qu’il soit plus efficace, peut-être le droit de tirage doit-il être orienté et conditionné à certains critères «
C. R. : Tout changement produit toujours une phase d’incertitude, que je peux comprendre. Le droit de tirage sera maintenu dans ses conditions actuelles en 2020, année durant laquelle il faudra réfléchir non pas à le diminuer, car il doit rester un outil d’incitation à l’investissement, mais à accroître son efficacité. Et pour qu’il soit plus efficace, peut-être doit-il être orienté et conditionné à certains critères. C’est une discussion que les professionnels doivent avoir, discussion qui doit être alimentée par une évaluation et un diagnostic précis de l’existant. Il ne faut pas perdre de vue non plus que des ressources supplémentaires vont venir abonder le CNM : elles sont ouvertes à tout le monde, et notamment au spectacle vivant. Ces deux sujets vont de pair.
R. L. : Par exemple, le renforcement du soutien aux territoires et à l’international, évoqué tout à l’heure, bénéficiera notamment au spectacle vivant. Il y a des inquiétudes compréhensibles, mais la réflexion qui s’ouvre doit tenir compte du fait que le champ sera plus large. De toute façon, le CNM ne pourra fonctionner que s’il existe un pacte de confiance entre les professionnels et l’Etat.
Quelles vont être les priorités du comité opérationnel jusqu’à la fin d’année ? Où en est la rédaction du décret statutaire ?
C. R. : Le décret est quasiment bouclé. Il est encore en phase d’arbitrage, mais ses lignes principales ne devraient pas énormément évoluer par rapport à ce qui est ressorti de la concertation. Nous avons renforcé les mesures transitoires. L’objectif est qu’il soit publié courant décembre.
» Le rôle du CNM devra être au carrefour des enjeux publics et privés, au service de la diversité des répertoires et de la France «
R. L. : Nous travaillons sur la suite, et donc sur les mécanismes d’aide du futur CNM. Nous avons confié une étude au cabinet BCG, qui doit réaliser un diagnostic de la situation du secteur. Ce diagnostic va s’appuyer sur la synthèse d’une quarantaine d’études préexistantes et sur des échanges avec les organisations professionnelles. Nous allons poursuivre ce travail par des ateliers où les réflexions du cabinet seront confrontées à l’expérience des professionnels. Compte tenu des données disponibles, il faut être lucide sur les limites et les biais de cet exercice, mais l’objectif est de partager des visions sur l’état du secteur et d’identifier les sujets émergents, en particulier ceux pour lesquels le CNM devra approfondir l’étude. Ensuite, il faudra passer en revue les aides existantes, toujours sous forme d’ateliers, avant de passer aux nouveaux dispositifs envisagés, en faisant émerger des principes clairs et les besoins nécessaires, pour que la future équipe du CNM puisse s’appuyer sur ce travail. Bien sûr, il y a des intuitions partagées sur l’opportunité d’aller vers des programmes d’aide transversaux, et de partir du projet plutôt que de fonctionner en silo, par métier. Maintenant, il faut aller dans le détail.
C. R. : Il faudra pouvoir articuler cela avec les dispositifs existants, aides émanant des cinq structures amenées à constituer le CNM mais, aussi, aides dédiées au secteur non marchand issues, notamment, des collectivités territoriales et de l’État. Il faut en tenir compte et que le CNM conçoive ses dispositifs intelligemment. Il ne suffira pas d’être un guichet supplémentaire sur une ligne d’aide préexistante. Le rôle du CNM devra être au carrefour des enjeux publics et privés, au service de la diversité des répertoires et de la France, et, pour ce faire, inventer les voies d’une action publique coordonnée.