CRISE SANITAIRE : LES 1RES CONCLUSIONS DE LA COUR DES COMPTES SUR LE SOUTIEN DE L’ÉTAT À LA CULTURE
Paris – Actualité n°229698 – Publié le 29/09/2021
Dresser un premier bilan de l’effort consenti en 2020 et au premier semestre 2021 pour financer les mesures de soutien de l’État en faveur du cinéma, du patrimoine et du spectacle vivant, lors de la crise de la Covid-19, tel est l’objectif des trois « audits flash » menés par le Cour des comptes et rendus public le 29/09/2021. « Conduits dans le respect des normes professionnelles, ces audits se caractérisent par une instruction rapide », précise la Cour.
S’agissant du soutien au patrimoine, la Cour des comptes indique que les crédits d’urgence du ministère de la Culture en 2020 sont « restés limités pour l’essentiel à cinq grands opérateurs culturels dont les recettes propres ont drastiquement chuté ». Elle indique, par ailleurs, que « leur accompagnement, poursuivi et même amplifié par le plan de relance en 2021-2023, est particulièrement coûteux et pourra difficilement être pérennisé ». Enfin, elle appelle à une « attention particulière » du ministère aux services des CRMH et UDAP, « très fortement sollicités » dans le cadre de la « mobilisation exceptionnelle pour la restauration du patrimoine ».
Concernant le soutien au spectacle vivant, la Cour reconnaît la « forte mobilisation budgétaire de l’État », mais considère que « les mesures prises ont été peu accompagnées de dispositifs d’évaluation ex-post pour identifier et corriger d’éventuels effets d’aubaine ou de surcompensation ». « Il semble en outre que la multiplicité des aides a nui à leur lisibilité et n’a donc pas facilité leur identification par tous les bénéficiaires potentiels », ajoute l’institution. Enfin, évoquant la reprise et « l’accompagnement du retour à la normale », la Cour appelle à « la mise en place d’un cadre de pilotage plus stratégique, [reposant] sur un juste équilibre entre le maintien d’aides générales et sectorielles de l’État adaptées aux contraintes de la reprise, et une plus grande sélectivité des aides, privilégiant le sauvetage d’entités dont les difficultés sont essentiellement liées à la crise ».
News Tank rend compte des conclusions rendues par la Cour des comptes pour les secteurs du patrimoine et du spectacle vivant.
Les conclusions de la Cour des comptes sur le soutien au patrimoine
« Un accompagnement des plus grands musées et monuments particulièrement coûteux qui pourra difficilement être pérennisé »
Selon la Cour, les crédits d’urgence du ministère de la Culture en faveur en 2020 sont « restés limités pour l’essentiel à cinq grands opérateurs culturels » dont les recettes propres ont « drastiquement chuté », à savoir : le Louvre, le Château de Versailles, le CMN, la RMN-Grand Palais et le musée d’Orsay.
« Le modèle économique des plus grands musées et monuments a été mis à mal par la désertion de la fréquentation touristique étrangère. Alors qu’ils parvenaient dans les années récentes à s’autofinancer à hauteur de 50 %, la pandémie les contraint à reconsidérer leur niveau de dépenses, leur politique des publics et à développer d’autres formes de ressources, notamment via les outils numériques. Poursuivi et même amplifié par le plan de relance en 2021-2023 (327,5 M€), l’accompagnement de ces opérateurs est particulièrement coûteux et pourra difficilement être pérennisé. »
À l’avenir, la Cour recommande aux grands établissements de poursuivre la réflexion sur la « nécessaire évolution de leur modèle économique intégrant les contraintes de leur mission de service public ». « De nombreuses propositions » sont mises à l’étude :
- l’amélioration de l’expérience de visite,
- la réduction de l’envergure des grandes expositions dont les coûts d’assurance et de transport d’œuvres provenant de l’étranger sont devenus prohibitifs,
- le retour vers une mise en valeur des collections permanentes,
- l’accélération des propositions numériques et la diversification des activités commerciales.
D’autres pistes sont également évoquées par la Cour :
- la poursuite des partenariats des musées français à l’international (prêts d’œuvre, expositions itinérantes, marques culturelles),
- l’expérimentation d’une plus grande modularité tarifaire, telle que par exemple :
- la hausse sélective des tarifs pour les visiteurs non-résidents de l’Union européenne,
- ou la saisonnalité de la grille de tarification afin de favoriser le retour d’un public français en période de faible fréquentation étrangère.
La situation des guides conférenciers
« La profession des guides conférenciers a été particulièrement exposée à la crise sanitaire et ne paraît pas avoir été secourue de façon parfaitement efficace par les dispositifs transversaux (hors l’action ministérielle). Une enquête réalisée auprès de 1 249 guides conférenciers après huit mois de crise sanitaire soulignait ainsi qu’un quart des répondants n’avait eu accès à aucune aide, que les salariés de plusieurs employeurs avaient rarement pu bénéficier du chômage partiel et encore moins les détenteurs de contrats à durée déterminée. »
La restauration du patrimoine : « axe principal de la relance du ministère lancé sans prospective réelle sur les capacités d’absorption des filières de la restauration »
« Le ministère a vu doubler en 2021 ses crédits consacrés aux travaux sur des monuments historiques (664 M€ de crédits de paiement mobilisés au lieu de 327 M€ exécutés en 2018). Lancée sans prospective réelle sur les capacités d’absorption des filières de la restauration, cette mobilisation exceptionnelle pour la restauration du patrimoine devrait être source de retards et de tensions sur les prix. »
Dans ce cadre, la Cour recommande que :
- la DGPA et le secrétariat général du ministère soient vigilants à la sollicitation « très forte » des services des CRMH et des UDAP,
- les calendriers de réalisation des chantiers soient « détendus » pour parvenir à absorber le choc de commande publique à des prix raisonnables.
« La crise sanitaire met en lumière la médiocre connaissance que possède le ministère de la Culture de ses filières métiers et de l’évolution prévisionnelle des emplois dans le domaine de la restauration des monuments historiques. »
Réponse de la ministre de la Culture
Sur la concentration des moyens aux « grands opérateurs »
- « L’aide apportée durant la crise par le ministère au secteur du patrimoine et de l’architecture est allée bien au-delà du seul soutien aux grands établissements, notamment via une hausse des crédits ordinaires en PLF 2021 afin de soutenir l’investissement et via la priorité donnée aux travaux de restauration des monuments historiques dans le cadre du plan de relance (614 M€). Le soutien aux opérateurs du patrimoine, parmi lesquels certains assurent la maîtrise d’ouvrage d’importants programmes d’investissement répartis sur l’ensemble du territoire national, a permis dans ce cadre d’irriguer le tissu des entreprises des filières du patrimoine dans un but de continuité des chantiers. »
Sur la situation des grands opérateurs et leur avenir
- « Mes services ont engagé une réflexion, en liaison avec les établissements concernés, portant sur leur modèle socio-économique. Cette réflexion tient compte de l’absence d’un retour rapide des niveaux de fréquentation de 2019 qui limitera fortement la capacité des établissements les plus dépendants d’une clientèle internationale à retrouver des niveaux de ressources propres aussi élevés qu’avant la crise, de la rigidité certaine du niveau de leurs charges et de l’impératif de concilier ces paramètres avec les autres objectifs des opérateurs patrimoniaux en matière d’exercice de leurs missions de service public, comme la démocratisation culturelle par exemple. En attendant les conclusions de cette réflexion et la fin de la crise, je suis particulièrement attentive à la situation financière de chacun de ces opérateurs touchés durablement par la crise. »
Sur les potentiels retards et tensions sur les prix générés par la mobilisation pour la restauration du patrimoine
- « Le phasage des opérations sur le terrain n’a pour le moment pas donné lieu à de réels retards de chantiers. Les tensions relevées sur les prix résultent principalement d’une conjoncture marquée par une reprise d’activité très dynamique en Asie et aux États-Unis, qui a eu des conséquences sur la disponibilité des matériaux de construction et les cours des matières premières. »
Sur la situation des guides-conférenciers
- « Il convient de rappeler que ces derniers ont fait l’objet d’un certain nombre de mesures d’aides de droit commun conséquemment à la crise sanitaire. La profession de guides-conférenciers se caractérisant par une forte dispersion au sein de différentes conventions collectives, la connaissance sectorielle de cette profession demeure imparfaite et le nombre de guides-conférenciers en activité difficile à préciser. C’est dans ce contexte que d’ici la fin 2021 doit être lancée, conjointement avec le ministère de l’Économie, des Finances et de la Relance, une étude monographique sur cette profession basée sur un cahier des charges partagé avec les représentants des principales fédérations professionnelles. »
Les conclusions de la Cour des comptes sur le soutien au spectacle vivant
« Le rôle du ministère de la Culture en matière de spectacle vivant s’est trouvé raffermi dans la gestion de la crise. L’administration centrale s’est fortement mobilisée, comme les services déconcentrés du ministère, en jouant un rôle phare dans la mise en place des dispositifs en concertation avec les acteurs du secteur, tout en déléguant la majorité des crédits à deux opérateurs, le CNM et l’ASTP. Ces derniers ont adapté leur organisation pour s’acquitter d’une mission de structuration des dispositifs de soutien au côté du ministère, puis d’instruction des demandes et de versement des aides. »
Un décalage entre volume de crédits ouverts et évaluation de l’efficience de la dépense
La Cour regrette que « les conventions avec les opérateurs ne permettent pas à l’État de s’assurer que le bénéfice des mesures générales et sectorielles n’a pas conduit à des effets d’aubaine voire de surcompensation ». Elle reconnaît toutefois « l’attention portée au bon usage de l’argent public dans la conception et la mise en œuvre des dispositifs dans un contexte d’urgence ».
« Malgré l’important montant des aides accordées au secteur et bien que des règles précises s’appliquent à chaque dispositif, dont un suivi budgétaire régulier, à ce jour, le ministère de la Culture n’a pas prévu d’évaluation “ex post” de l’allocation de ces aides et de leur efficacité. »
Elle recommande que, dans le cadre de « l’accompagnement de la reprise d’activité du secteur, des mesures plus incitatives soient prévues » sur ce point.
Une multiplicité des aides « qui a nui à leur lisibilité »
Selon la Cour, « la multiplicité des aides a nui à leur lisibilité et probablement à leur mobilisation au profit de l’ensemble des bénéficiaires potentiels ». Elle se base sur « plusieurs études » qui « relèvent la prépondérance du recours aux dispositifs transversaux alors que les aides allouées par le ministère ont tendance à se concentrer sur certains bénéficiaires ».
« La liste des bénéficiaires fait apparaître une relative concentration des aides, au bénéfice des plus structurés, plus armés que de petites entités pour connaître et faire valoir leurs droits ».
L’accompagnement de la phase de reprise
La Cour des Comptes appelle à la mise en place d’un « cadre de pilotage plus stratégique » pour « accompagner le retour à la normale ».
« Celui-ci devrait reposer sur un juste équilibre entre le maintien d’aides générales et sectorielles de l’État adaptées aux contraintes de la reprise, et une plus grande sélectivité des aides, privilégiant le sauvetage d’entités dont les difficultés sont essentiellement liées à la crise. »
Par ailleurs, « la sortie de crise pose des questions qui n’ont pas encore de réponse concernant le cadencement de l’extinction progressive des mesures transversales et sectorielles, qu’elle soit simultanée ou échelonnée ». Selon la Cour, « la question des taxes fiscales assises sur les billetteries, asséchées par la chute de la fréquentation, constituera un enjeu majeur de la reprise ».
« Les taxes perçues par l’ASTP et le CNM sur les recettes de billetterie se sont trouvées asséchées, mettant à mal leur modèle de financement. La pleine reprise n’étant pas espérée avant 2023, voire 2024, par les opérateurs du secteur, la suppression du soutien à ces opérateurs ne pourra sans doute pas être immédiate. »
Réponse de la ministre de la Culture
Sur l’évaluation des dispositifs d’aides
- « Il apparaît prématuré de dresser un bilan définitif du soutien au secteur, dans un contexte, comme rappelé plus haut, de poursuite de la crise sanitaire, dont les effets en termes de fréquentation du public et de niveaux de ressources propres continuent de se faire sentir et sont en cours d’évaluation. Le ministère de la Culture réalisera en 2022 un bilan a posteriori de ces dispositifs, pour mesurer et préciser les effets de ces soutiens sur le secteur. »
Sur l’accompagnement de la reprise
- « Le secteur culturel reste encore soumis en 2021 à des contraintes liées à la crise sanitaire. (…) Des incertitudes fortes demeurent ainsi sur les conséquences économiques à moyen et long terme de cette crise pour l’ensemble du secteur. À l’automne 2021, le ministère de la Culture poursuivra l’adaptation de ses dispositifs d’aides pour tenir compte tant de l’évolution du contexte sanitaire, que des modifications apportées aux aides transversales sur cette période. »